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MAJ Page le 10/04/01


Le renchaînement d’alliance :

une stratégie familiale

 

Le relevé de Pierre LEISSEN dans la Chaloupe N°25, concernant un double mariage, permet de soulever des mœurs aujourd'hui révolues, mais autrefois très fréquentes et que d'autres généalogistes ont sûrement constatées. Il s'agit du renchaînement d'alliance, dont Martine SEGALEN consacre un large chapitre dans son étude sur le pays Bigouden[1].

Définition et recherches. 1

Alliance renchaînée, consanguine ou hasardeuse ?. 2

Le renchaînement Baudet-Burguin-Le Dréau.. 3

Le renchaînement Bertic-Le Bail. 3

La disparition d’une coutume. 4

 

Définition et recherches

Le renchaînement d'alliance, notion apparue dans les années 1970, se définit simplement par la multiplicité des mariages sur plusieurs générations entre deux familles ayant chacune un couple fondateur connu[2], ce qui diffère profondément de la consanguinité. Les combinaisons d'alliances sont très nombreuses, mais la plus connue est celle entre frères sœurs, comme celle des BAUDET-BURGUIN (voir plus loin).

Le renchaînement est souvent lié au veuvage et au remariage, très important sous l'Ancien Régime, en raison de l'espérance de vie réduite des conjoints. Le nouveau couple faisait alors marier les enfants issus des premiers lits. Dans des cas plus exceptionnels, comme celui des LE BOMIN-LE ROUZIC, les beaux-parents et les enfants se mariaient le même jour[3].

Des décalages de génération sont courants, même entre descendants proches, comme dans le renchaînement L'HERMITE-BREUREC, où un oncle épouse sa nièce par alliance (tableau ci-dessous). Dans les décennies suivantes apparaissent deux autres renchaînements entre cousins germains, et non un seul, L'HERMITE-MOLLO et BREUREC-MOLLO du fait des précédentes unions L'HERMITE-BREUREC.

Les renchaînements d'alliance n'ont pas de limites et peuvent s'étendre sur plusieurs générations. Dans son étude, Martine SEGALEN prouve que 80% des couples sont liés par des renchaînements sur 15 générations. Ce constat n'a été possible que grâce à une informatisation poussée des actes de mariages relevés dans les registres de catholicité et d'état-civil. Certaines combinaisons sont en effet complexes à établir. Le généalogiste n'en aperçoit que les plus simples, de type frères sœurs. Pour les autres, il faut poursuivre plus loin les investigations pour trouver les deux couples fondateurs. Pierre LEISSEN a par exemple cherché les actes de fiançailles qui seuls précisaient les noms des parents.

Mais les décrets de justice sont également fort utiles, et pas uniquement ceux pour mariage. Veuvages et remariages entraînent en effet des tutelles. Généralement après le décès du père, celle d'enfants mineurs était attribuée à la mère et veuve. Cependant en cas de remariage, la responsabilité de la tutrice était révisée et revenait souvent à son nouvel époux. Pour éviter deux actes judiciaires, une mère, encore en âge de procréation et consciente d'un prochain mariage, se déchargeait dès le départ de la tutelle au profit d'un autre parent, notamment l'aïeul des mineurs. C'est le cas de Jeanne LE DREAU, qui veuve de Jacques BAUDET, se remarie huit mois plus tard avec Olivier LE GOVIC. La tutelle de ses enfants passa successivement au grand-père Jean BAUDET pendant 10 ans, à un cousin germain par alliance Jacques HEMON pendant 3 ans, puis à un parent au cinquième degré, Joachim KERMORVAN.

Dans les généalogies descendantes, il ne suffit pas de constater la multiplicité d'un patronyme allié pour conclure à un renchaînement. A tous ces alliés, il faut leur trouver le couple fondateur commun. Beaucoup de renchaînements risquent toutefois de ne pas être détectés, car ils ne se contentent pas des lignées agnatiques ou patronymiques. Pour en établir, il est nécessaire de pratiquer à la fois une généalogie descendante et ascendante. Seuls des dépouillements systématiques et informatisés faciliteraient ce travail, mais les cousinages publiés entre adhérents de clubs laissent aussi parfois apparaître des alliances renchaînées.

Alliance renchaînée, consanguine ou hasardeuse ?

Le choix d'une alliance renchaînée plutôt que consanguine évite notamment les problèmes administratifs liés aux dispenses de parenté contrôlées par l'Eglise. Les mariages entre cousins dès le cinquième degré, non interdits, sont en effet beaucoup plus nombreux que ceux à un degré inférieur. Ces derniers représentent sur le pays Bigouden environ 3.5% des alliances au 18ème siècle, et entre 2.5 et 5.6% des alliances décennales dans la seconde moitié du 19ème siècle. La décennie de la guerre de 1914-18 en compte jusqu'à 10%, puis plus rien après 1930, alors que les unions entre cousins issus de germains sont autorisées à partir de 1917. Deux faits sont donc remarquables. D'une part, l'image trop caricaturale de la bigoudène dégénérée est due à une courte et récente période de mariages consanguins. De plus, les pourcentages calculés sont bien inférieurs à ceux d'autres régions, comme en Corse, dans le Massif Central, ou encore au Canada où ils atteignent jusqu'à 19%. D'autre part, ces mariages s'établissent surtout entre cousins éloignés, mais les interdits du clergé n'en sont pas la seule raison.

Dispense de parenté au 4eme degré entre deux paroissiens de Carnac en 1729.

(Archives Départementales du Morbihan, G320)

 

Antonium & dilecto nobis Juchristo rectory parachialis

eulesia de CARNAC urre dix cesis sive ejus subeurato

 salutem sudno cumnobis constiteris Hieronimum THOMAS

& Mariam LE BAGOUSSE parachianos vestros quartoconsanguintalis

graduesse conjonctos qui matrimonium insinul inire capientes desiderium hac juparte ad

implere non possunt abs que hujus modi impedimenti dispensatione et cum panpered

miserabilas que existant au fuis tantum labore et judustria vinont. Ita ut ad curiam

Romanam recurrere non possint, nos petition illorum annucentes permittinus

 matrimonium ip sorum celebray nonobstante proedicto impedimento si gper

quo cumipsis dispensaninus obcanfas nobis notas et dispensanus per proesentes

 dum inoto nullum aliud noveritis canonium ent civile impedimentum quodobstel

 R a datum venitia annodry 1729, die vero 25q jannary, sic signatum

Antonius Episcopus venctenesis et inferius J. LUCAS secretarius

 

Renchaînées ou consanguines, les alliances même à des degrés éloignés ne sont pas un hasard. Chacun connaissait parfaitement les membres de sa parentèle et les liens qui les unissaient, même si les noms précis des aïeux étaient oubliés. De ce fait, les « cousins à la mode de Bretagne » n'étaient pas une légende mais englobaient vraisemblablement les renchaînements Lors des décrets de justice, les parentés des témoins atteignaient fréquemment le cinquième degré en droit canonique. Dans le double décret de mariage de Bernard L'HERMITE et Michelle LE BOZEC en 1761, 15 témoins se présentaient à la sénéchaussée d'Auray au lieu des 24 habituels, 12 pour chacun des décrets. En fait neuf personnes témoignaient à la fois pour chacun des deux fiancés, en raison de la parenté qui les liait jusqu'au 4ème degré. Dans le double décret de mariage des parents de Bernard en 1737, seules 13 personnes témoignaient aussi pour les même raisons jusqu'au 5ème degré. Bien sûr, ceci permettait de réduire le nombre de personnes déplacées de la campagne jusqu'à la ville. Mais le généalogiste d'aujourd'hui déduira surtout, en l'absence d'une dispense de parenté, des renchaînements d'alliance entre les deux familles, dont les nouveaux époux en étaient l’énième maillon. Retrouver les liens exacts risque d'être ensuite un travail difficile. Dans les deux cas ci-dessus, plusieurs renchaînements existent entre les familles L'HERMITE, LE DEORE, LE BOZEC et GUILLEVIC de Belz, mais ils n'ont pas été établis précisément.

L'espace géographique restreint n'était pas non plus la raison de tels mariages. Les renchaînements à des degrés proches s'établissaient plutôt entre familles de paroisses différentes. C'était le cas des LE BOMIN-LE ROUZIC, originaires du Faouët et de Guiscriff, des BAUDET-BURGUIN, de Plumergat et Pluvigner, des BERTIC-LE BAIL, de Mendon et Plouharnel, etc... La consanguinité des années 1910 était aussi liée à d'autres phénomènes, un sentiment de sécurité notamment, alors que les migrations étaient nombreuses depuis un demi-siècle. La distance de quelques dizaines de kilomètres n'était pas une barrière au 19ème comme au 18ème siècle, c'était une nécessité pour trouver un conjoint d'âge semblable et de même niveau social, surtout élevé.

Mariage d'amour ou d'intérêt ?

Les alliances renchaînées, plus que celles consanguines d'ailleurs, apparaissent en fait comme un moyen de reformation des foyers pour vivre et pour travailler suite à la mort d'un proche désorganisant l'espace socio-économique. Elles permettent aussi de régler les délicats problèmes successoraux liés à une importante contradiction. D'une part bien avant nos lois actuellement en vigueur, et en raison de l'Ancienne Coutume de Bretagne, le partage égal entre frères et sœurs était institué dans les héritages, contrairement à d'autres régions françaises. D'autre part, le domaine congéable, mode d'exploitation des terres s'étendant sur une majeure partie de la Basse-Bretagne, exigeait un seul responsable sur les tenues qui ne pouvaient être divisées. Le successeur du chef d'exploitation devait donc régler en argent les parts de ses co-héritiers, aussi nombreux qu'ils soient. Il était donc de son intérêt de les rembourser le plus rapidement possible, afin d'éviter le partage des revenus de la tenue dus à chacun tant que l'indivision n'était pas levée. Si les alliances consanguines permettaient de capter plusieurs parts, celles renchaînées permettaient des "échanges" de parts entre les deux familles. Quelques exemples ci-après seront plus explicites.

Le renchaînement Baudet-Burguin-Le Dréau

Le renchaînement d'alliance BAUDET-BURGUIN-LE DREAU met en scène trois tenues sous domaine congéable. Celle de Trédoué en PLUMERGAT a été progressivement et patiemment acquise à partir de 1740, par Jean BAUDET qui a abandonné celle paternelle à ses demi-frères et sœurs. Elle s'étend sur environ six hectares. La tenue de Kerlonnet en PLUVIGNER a été acquise vers 1765 par Louis BURGUIN, un riche laboureur qui possède un important cheptel composé de 2 grands bœufs, 7 vaches, 3 petits taureaux, 2 cochons et 1 jument. La dernière, celle des Saints en GRAND-CHAMP, appartient depuis quelques générations à la famille LE DREAU. Gilles s'est remarié mais est resté sur sa tenue, qui dépend du prieuré des Saints relevant de l'abbaye Saint Gildas de Rhuys.

Jean BAUDET tient particulièrement à sa propriété. Trois années après son mariage, son épouse décède. Bien qu'âgé de 32 ans, Jean ne se remarie pas contrairement à son père. Il préfère en 1754 marier son fils unique Jacques, âgé de seulement 13 ans, avec Jeanne LE DREAU, âgée d'à peine 16 ans et fille de Gilles. Au décès de son fils, Jean BAUDET prend en charge la tutelle des quatre enfants mineurs, et laisse sa belle-fille, âgée de 35 ans, se remarier avec Olivier LE GOVIC. Pour maintenir la cohésion de l'exploitation, ce nouveau couple reste à Trédoué jusqu'au décès de Jean BAUDET neuf ans plus tard.

Avant de mourir, ce dernier, prévoyant sa succession, marie deux de ses petits enfants, Gilles 21 ans, et Jeanne 18, avec respectivement Anne 21 ans, et Julien 19, enfants du dit Louis BURGUIN de PLUVIGNER. Les décrets de mariage sont établis en Janvier 1780 à la juridiction de Largouet sous Auray. Jean BAUDET assiste les fiancés en tant qu'aïeul et tuteur, tandis que Olivier LE GOVIC et Gilles LE DREAU approuvent ce renchaînement d'alliance, en tant que témoins du côté maternel.

Dans les mois qui suivent ce double mariage et le décès du grand-père, Jeanne BAUDET rejoint à PLUVIGNER son époux Julien BURGUIN, qui, à 22 ans seulement, succède à la tête de Kerlonnet au décès de son père dès 1782. Gilles BAUDET reste-lui à Trédoué, dont il dirige l'exploitation à 24 ans. Leur mère Jeanne LE DREAU, et Olivier LE GOVIC, retournent aux Saints auprès de leur père et beau-père Gilles LE DREAU. Les derniers enfants mineurs, Marc et Jean BAUDET, sont pris en charge par un cousin.

Cette situation est toutefois provisoire. Malgré leurs responsabilités, du fait de leur jeune âge, Julien BURGUIN et Gilles BAUDET ne peuvent régler immédiatement les parts d'héritage de leurs frères et sœurs, qui d'ailleurs ne sont pas encore installés. Les tenues restent donc indivises. En 1788, Gilles BAUDET meurt, laissant deux filles mineures. Son frère Marc lui succède à Trédoué, mais le renchaînement d'alliance BAUDET-BURGUIN est brisé. Il est toutefois recréé quelques temps plus tard par le mariage entre Louis BURGUIN, fils de Louis, et Marie Le GOVIC, fille de Olivier et de Jeanne LE DREAU. Après le décès de son père puis de son mari, la veuve LE DREAU se retrouve comme seule héritière de la tenue des Saints. Son fils Jean BAUDET la rejoint alors, mais il semble décéder avant 1804.

La mort de Jeanne LE DREAU en Janvier 1804 déclenche le règlement définitif des successions des trois exploitations. Au mois de Mars suivant, la tenue des Saints, estimée à 1464F, revient à Louis BURGUIN et Marie LE GOVIC. En Septembre suivant, celle de Kerlonnet, estimée à 3000F, revient à Julien BURGUIN et Jeanne BAUDET, et celle de Trédoué, estimée à 2400F, à Marc BAUDET. Au décès de ce dernier en 1825, les biens passeront à un neveu, Mathurin BERTO. Les BAUDET se sont donc maintenus à Trédoué en trois générations et pendant environ 85 ans. Ceci est largement supérieur à la durée moyenne d'un bail à domaine congéable[4].

Le renchaînement Bertic-Le Bail

Le renchaînement d'alliance BERTIC-LE BAIL, de type beaux-parents enfants, est précédé de deux autres visant à protéger l'intégrité de la tenue de Rosmérien en MENDON. En 1669, Jean BERTIC acquiert toutes les parts de ses frères et sœurs dans la succession de leurs parents. Pour éviter de futures difficiles successions, il marie dès 1674, deux de ses cinq enfants aux KERQUERET du Menec en MENDON. Après le décès en 1681 de son fils aîné Guy, marié à Jeanne KERQUERET, il accepte la tutelle de ses trois petits-enfants mineurs, dont Yves BERTIC. Le renchaînement étant brisé, il marie en 1686, deux autres de ses enfants aux NICOLAZIC du Magouero en BRECH. A chaque fois, les garçons de chaque famille restent sur leurs propres terres, leurs épouses les rejoignant. Ainsi après le décès de Guy, Jean BERTIC est secondé par François, marié à Jeanne NICOLAZIC, mais Michel, son dernier fils non concerné par ces renchaînements, demeurent aussi auprès de lui. Le successeur de Rosmérien étant ainsi implicitement désigné, Jeanne KERQUERET, qui est restée veuve et sans la charge juridique de ses enfants, se décide ou est forcée de se remarier.

Elle épouse en 1687 Armel LE BAIL, un riche laboureur, veuf comme elle depuis six années. Celui-ci exploite la vaste tenue de Kerarno en PLOUHARNEL, s'étendant sur plus de 22 hectares et appartenant à la famille depuis au moins 1640. Malgré les deux enfants qui naissent de cette nouvelle union, et les deux autres qu'Armel LE BAIL a de son premier mariage, Jeanne, sous l'autorité de son mari, récupère la tutelle de ses mineurs après le décès de son beau-père Jean BERTIC en 1695. Armel, témoin au décret de justice à la sénéchaussée d'Auray, ainsi que la parentèle BERTIC approuve cette responsabilité, sans doute pour plusieurs raisons. Jeanne KERQUERET, vraisemblablement séparée de ses enfants pendant 8 années, souhaite les avoir auprès d'elle. Pour les BERTIC, il y a suffisamment d'héritiers mâles à Rosmérien pour ne pas compliquer une future succession. Enfin Armel LE BAIL peut gérer indirectement les biens de son épouse et de ses beaux-enfants. De plus, ses premiers enfants étant encore trop jeunes, il peut se faire aider sur son exploitation par Yves BERTIC et ses frères.

Tous ces sept enfants de différents lits auraient sûrement compliqué les successions. Aussi dès 1696, dix mois après la nomination de tutelle, Yves BERTIC, 18 ans, est marié à Guillemète LE BAIL, 19 ans et demi, chacun enfant aîné des premiers mariages de Jeanne KERQUERET et de Armel LE BAIL, créant ainsi un nouveau renchaînement d'alliances. Ce mariage permet aussi d'assurer une postérité et une succession, alors qu'aucun des autres enfants encore jeunes et des parents relativement âgés ne sont à l'abri d'une mort subite. Un mois plus tard, Yves BERTIC, bien que majeur par son mariage, souhaite qu'un curateur, son oncle maternel Bertrand LE BIDEAU, l'aide dans l'administration de ses propres biens. D'après ce décret de justice, il semble qu'il accorde donc bien peu de confiance à son beau-père. Mais légalement d'ailleurs, selon le droit breton, Yves ne peut hériter de Kerharno, seulement son épouse Guillemette puis leurs propres enfants. Après les décès de son épouse en 1715, de son beau-père en 1720 et de sa mère en 1721, il dirige toutefois l'exploitation à PLOUHARNEL sans qu'elle lui appartienne réellement, mais par un accord avec les LE BAIL, il en assure la succession à ses enfants.

Les effets successoraux du renchaînement n'agissent qu'en Avril 1742. La tenue de Kerarno est alors estimée à 2605L pour les immeubles et à 342L pour les meubles. Pierre, l'aîné de Yves BERTIC, étant resté célibataire, le second, Jean, 28 ans, acquiert toutes les portions indivises. D'abord, il faut régler 1312L de dettes à la parentèle LE BAIL en raison des précédents accords d'acquisition de Yves BERTIC sur la moitié de la tenue. Cette somme est financée à hauteur de 420L par Lorette LE PORT, épouse depuis dix ans de Jean BERTIC. Ensuite, il faut régler les parts des trois frères et sœurs de Jean, s'élevant chacune à 317L. Pour éviter un endettement trop important, un accord est alors conclu avec les célibataires. Il leur sera payé la moitié du chef de leur mère dans les six ans pour Pierre et huit ans pour Marie BERTIC, et la moitié du chef de leur père un an après le décès de celui-ci. Mais il est vraisemblable que Pierre décédé en 1748, et Marie, déjà malade et alitée dès 1742, n'aient rien touché de leur portion maternelle. Le contrat précise enfin que les rentes foncières, les impôts et autres charges de l'exploitation seront payés par moitié par Jean BERTIC et son père jusqu'au décès de ce dernier. Ce décès venu, les hardes seront partagées entre les enfants qui paieront les frais funéraires.

La tenue de Kerharno est enfin intègre. Mais cinq jours après son acquisition, Jean BERTIC meurt. Simple coïncidence ? Aucune enquête ou procès ne semble avoir été engagé à la sénéchaussée d'Auray concernant un crime. Lorette LE PORT devient de fait la tutrice de ses mineurs et dirige l'exploitation d'abord avec son beau-père Yves BERTIC, qui meurt subitement en 1745, puis avec ses beaux-frères Pierre BERTIC et Jean CAMENEN. Seulement deux fils lui survivent, dont l'aîné Julien qu'elle marie à 18 ans, juste 11 mois avant qu'elle décède. Un renchaînement d'alliance n'est pas alors nécessaire, contrairement à la génération suivante où huit héritiers naissent. Au décès de son père Julien, l'aîné de 32 ans, François BERTIC devient tuteur de cinq de ses frères et sœurs mineurs. Suite à son mariage deux mois plus tard, il renonce en Mai 1790 à la tutelle, et sans aucune stratégie, vends l'exploitation, estimée alors à plus de 3000L, à la famille ERDEVEN, des voisins. Les BERTIC-LE BAIL ont quand même réussi à se maintenir plus de 150 ans à Kerharno.

La disparition d’une coutume

Mais les successions ne sont pas le seul but de ces renchaînements d'alliance. Dans le cas des L'HERMITE-BREUREC, aucune vaste terre n'est à protéger, puisqu'il s'agit de familles de marin, l'une originaire de Belz, l'autre de Riantec. De plus, Pierre L'HERMITE et son épouse sont majeurs à leur mariage en 1791, et leurs parents ne sont pas décédés ou remariés. Vincent L'HERMITE en se mariant en 1784, ne se doute vraisemblablement pas qu'il héritera l'année suivante de tous les biens de ses beaux-parents. Pour le seconder à bord de sa chaloupe de pêche, il fait sans doute alors appel à son frère Pierre, qui côtoie ainsi les BREUREC. En 1813, Pierre hérite de la majeure partie des biens de ses beaux-parents, mais ces biens n'ont aucun rapport avec ceux de Vincent. Les héritages des deux frères L'HERMITE apparaissent en fait plus comme une parfaite intégration socio-professionnelle dans une nouvelle paroisse, que comme un captage de biens. Les renchaînements en milieu maritime permettent de compléter les rôles d'équipages, comme à la campagne de compléter les équipes d'ouvriers agricoles, avec toutefois une différence sur la succession future.

Un dernier exemple, anonyme celui là, permettra de suivre l'évolution des types de mariages au cours du 19ème siècle. La descendance d'une fameuse et riche famille de Loctudy, dont le fondateur est décédé en 1790, a pu être étudiée exceptionnellement. Il en résultait qu'à la 4ème génération, sur 28 mariages, 13 étaient renchaînés et 10 consanguins. A la génération suivante, sur 42 mariages, 13 étaient consanguins et 4 renchaînés. Au cours de la seconde moitié du siècle, cet exemple comme les pourcentages étudiés plus hauts, prouve que les renchaînements diminuent au profit des mariages consanguins et surtout extérieurs. Le rallongement de l'espérance de vie, grâce au progrès de la médecine et de l'hygiène, diminuent en effet considérablement les veuvages et les remariages, moteur principal des renchaînements. La démographie aidant, des familles bien souvent de dix enfants vivants jusqu'au début de ce siècle, les terres deviennent plus en concurrence ou sont menacées par la division, suite à la disparition progressive du domaine congéable. Les enfants s'attachent alors à leurs terres par des mariages consanguins, ou s'en éloignent par des mariages extérieurs, notamment à la ville. Un autre type de mariage se développe aussi à cette époque, le lévirat, par lequel le veuf ou la veuve épouse la sœur ou le frère du conjoint décédé.

Toutes ces considérations laissent bien peu de place à l'amour. Mais les fiancés avaient-ils un autre choix, alors que leurs parents et leurs aïeux avaient été mariés de la même manière depuis des siècles. Les témoignages des personnes âgées sur ces temps révolus sont parfois éloquents: "il y avait une ferme à prendre, on sautait dessus...", il fallait "trouver une place". D'autres considèrent néanmoins qu'un tel mariage "était plutôt une vente". A l'époque, les gens ne parlaient pas de renchaînements, ils disaient simplement que ces mariages étaient ou n'étaient pas dans leur famille. C'était en quelque sorte une coutume.

De nos jours, les familles multiples avec des enfants issus de plusieurs lits réapparaissent. Elles se créent non plus suite au drame de la mort, mais aux conséquences non moins douloureuses des divorces. La solidarité tente de vaincre l'individualisme face à la crise socio-économique. Les renchaînements d'alliances réapparaîtront-ils donc d'ici quelques décennies ?

 

[1] « Quinze générations de bas bretons », Martine SEGALEN, Ed PUF, 1985.

[2] Autres définitions données par Martine SEGALEN : deux couples ayant des relations dans l'affinité avec en commun deux paires d'ancêtres forment un renchaînement, ou inversement, deux couples d'ancêtres échangeant des conjoints sur plusieurs générations.

[3] Dans le renchaînement LE DREAU-GAILLO à GRAND-CHAMP, de même type, les deux mariages ont été célébrés le même jour 3 Novembre 1678.

[4] TJA LE GOFF estime que la durée des baux à domaine congéable atteignait jusqu'à 36, 45 ou 54 ans. « Vannes et sa région », Ed Yves Salmon 1989.