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Une fraude en eau de vie en 1710
A chaque statistique nationale, avec le nord de la France, la Bretagne apparaît comme la région où les causes de décès imputées à l’alcoolisme sont les plus criantes. En 1995, pour 100.000 habitants, arrivaient en tête le Morbihan avec 43,1 décès, le Finistère avec 42,7, le Nord avec 41,7, le Pas-de-Calais avec 40,5, les Côtes d’Armor avec 38,8. Les cirrhoses du foie seraient même liées au nombre de bouilleurs de crus, plus élevé dans l’ouest avec l’eau-de-vie, dans le nord avec le genièvre (ou gin). C’est en 1806 que Napoléon autorise chaque récoltant de faire distiller par an 10 litres d'alcool pur (soit 20 litres d'eau de vie à 50° ou 14 litres à 70°). Depuis 1960, ce droit n’est plus héréditaire. Il est supprimé au décès du bénéficiaire ou de son conjoint survivant. Le nombre de licences a ainsi été divisé par sept en l’espace de 40 ans, s’établissant à moins de 300.000 sur l’ensemble de la France. Mais par ailleurs, la consommation annuelle de vins et spiritueux est trois fois moins importante qu’il y a un siècle. Les mystères de la bouteilleLe penchant du breton pour l’alcool ne date pas d’hier. Dès 1636, dans « Itinéraires en Bretagne », Dubuisson-Aubernay présente les bretons comme des gens « qui ne peuvent se passer de boire ». Deux siècles plus tard, dans « La vie des bretons d’Armorique », Alexandre Bouët porte un jugement plus subtil sur l’ivrognerie : « Ces honteuses habitudes s’expliquent d’une manière assez naturelle. Il est incontestable que les privations appellent les excès. Or, même au sein du superflu, personne plus que le paysan breton ne se prive du nécessaire. Dans plusieurs cantons, les cultivateurs ont leurs celliers remplis de barrique de cidre. Eh bien, excepté lorsqu’il sort du pressoir, ils n’en font jamais leur boisson habituelle, même pendant les chaleurs de l’été et leurs travaux les plus rudes. Ils le vendent en totalité, et il faut, pour qu’ils le touchent, quelque circonstance extraordinaire (…). Hors de là, ils ne boivent que de l’eau chez eux. Aussi, lorsque leurs affaires les appellent à la ville ou les rapprochent d’un cabaret, se dédommagent-ils amplement de leur sobriété ordinaire, dont ils ont ainsi fait un vice ou du moins la source d’un vice. Alors, ils ne regagnent guère leurs foyers que dans une ivresse complète. Il est vrai de dire que souvent c’est moins la quantité de liqueur que le défaut de son usage habituel qui les fait déraisonner et rire ou pleurer, suivant leur humeur particulière. On ne s’aguerrit contre les boissons fermentées que par l’habitude d’en boire, et les buveurs d’eau comme les armoricains (…) seraient des champions peu capables de tenir tête à un anglais, un allemand ou un suisse ». C’était donc l’occasion qui faisait le larron. Et les occasions étaient nombreuses : un évènement familial, une fête paroissiale, la grand’messe du dimanche, une foire, une sortie en ville, une transaction commerciale, un retour de pêche… En 1794, dans « Voyage dans le Finistère », Jacques Cambry précise que « les jours de fête, dans les noces (…) les vins de toute espèce, l’eau de vie, quelque chère qu’elle soit, sont prodigués. On s’égaie, on s’enivre surtout, au son du biniou, des tambourins et des bombardes. On chante des chansons fort gaies, sur des airs pleins de vivacité, d’une mesure pressée ». Guillaume Le Grontec de la paroisse de St Gilles-Pligeaux s’offusque beaucoup des mœurs de ses contemporains. Lors des baptêmes, « après la cérémonie, on se rend à l’auberge (…). On couche le pauvre enfant dans un lit. Qu’il ait faim ou soif, qu’il est froid, on ne s’inquiète guère, pourvu que l’on boive du cidre ou du vin ». Lors des enterrements, les « repas sont quelquefois scandaleux, et ne ressentent guerre la douleur. On récite un De Profoundis à la fin du repas, et chacun se retire en trébuchant ». Lors des fiançailles, après la visite du curé, « on s’établit encore à l’auberge, où chaque famille se vante, et ces éloges augmentent à proportion du vin ou du cidre que l’on boit ». Bouët précise que « le père du jeune homme fait venir une première bouteille. Dès qu’elle a rendu le dernier soupir dans le verre de l’un des convives, le père de la jeune fille en fait venir une seconde. Tous les deux alternent ainsi jusqu’à ce que l’amour et l’intérêt aient été mis d’accord. Ce n’est pas ordinairement chose prompte et facile (…), que de verres de vin il faut boire avant de lever la séance ! ». Lors des pardons, Grégoire de Rostrenen estime que l’« on y dépense plus pour le vin que pour la cire ». En 1836, dans « Notions sur le littoral du département des Côtes-du Nord », M. Habasque remarque « des sons discordants, une gaieté bruyante et expansive, des ivrognes, et quelques coups de poing distribués à droite et à gauche ». Pour Bouët, c’est l’occasion d’un « enivrement complet chez les hommes, rare chez les femmes (…), de véritables babel bachiques où bientôt on ne s’entend plus, mais qui du moins n’entraînent pas à leur suite ces rixes sanglantes qu’on a trop souvent à déplorer… » Lors des foires, Habasque signale encore que « toutes les affaires se terminent au cabaret, après de nombreux pourparlers, et après s’être frappé l’un et l’autre dans la main ». Bouët précise qu’ « en vidant une bouteille sans s’asseoir, on se prend et on se quitte la main, dix, vingt, trente fois, pour y frapper, mais sans le faire, et ce mouvement télégraphique est accompagné d’interminables demandes et refus de rabais, de digressions et de bavardages (…). La bouteille se paie par celui qui a fait la proposition la première. Si au contraire, on tombe d’accord sur le prix, ce qu’indique l’un des contractants en frappant d’un coup définitif et serrant avec force la main de l’autre, le vendeur paie à son tour une bouteille de politesse : c’est le dernier sceau du marché ». D’après Cambry, « les paysans croiraient manquer à la politesse, à l’honneur, s’ils ne s’enivraient en terminant » leur affaire. Bouët raconte même la première leçon d’ivrognerie de son jeune héros Corentin, à l’occasion du premier habit (illustration ci-dessus). « Au sortir de l’église, toute la famille est donc allée s’asseoir près d’un cabaret ambulant, et là, à l’abri d’un chêne pour salle de festin, et le gazon pour nappe, elle s’est fait servir un glorieux ragoût de veau, luxe bien rare, et que ces vrais spartiates ont savouré avec délices, grâce surtout aux bouteilles de vin dont ils l’ont arrosé (…). Le tad-koz tient sur ces genoux son petit-fils, dont le jus perfide a déjà troublé la cervelle. Le jeune adepte ne recule cependant pas devant un nouveau verre de vin, que les buveurs qui l’entourent lui ont versé et l’excitent à boire, curieux d’éprouver la force de sa tête. Le vieillard l’y engage lui-même et lui dit : bois vite. Le nouvel initié a pris goût aux mystères de la bouteille, et il écoute, sans en profiter, les avis de sa marraine, qui, débout devant lui, l’avertit de prendre garde, ou que, déjà à moitié ivre, il le sera bientôt tout à fait. La mère, sans inquiétude, répond à celle-ci de le laisser faire, que ce jour est pour lui un jour de fête, et qu’il lui est bien permis de le célébrer comme il faut, c’est-à-dire avec quelques excès. Le père assis, une jambe pliée et l’autre étendue, charge tranquillement sa pipe en souriant aussi des craintes de la marraine. (Un) ami de la famille, aux cheveux à moitié relevés, frappe la joue de Corentin, lui crie : tiens bon ! (…) Un autre, à genoux derrière l’ivrogne naissant et penché vers lui, relève le bord de son chapeau pour mieux l’examiner. Tous sont impatients de voir comment il se comportera après cette rasade, et si, présage d’un bon ou mauvais caractère, l’ivresse sera chez lui un rêve heureux et riant, ou bien un cauchemar ». Dès le 17e siècle, les marins et pêcheurs bretons ont une mauvaise réputation. Ils sont décrits comme « plus disposés à vider la bouteille, à humer l’eau de vie et fumer le péton, qu’à manier l’astrolabe, le quadran et la balestrille ». Ils s’enivrent surtout le dimanche et les jours de fêtes, lorsqu’ils ne vont pas en mer. Toutefois, au 18e siècle, les pêcheurs prennent l’habitude d’embarquer à bord de leur chaloupe un peu de vin pour accompagner leur repas, leur cotriade. Ils sont aidés en cela par les négociants qui cherchent d’obtenir leur faveur et fidélité lors de la vente d’appâts et d’agrès, lors de l’achat du poisson. A Belle-Ile, « il n’y a point de jour de pêche que le matelot en vendant sa marchandise ne stipule 4 ou 5 pots de vin, outre le prix de son poisson. L’équipage, qui est de quatre matelots, va encore boire dans les cabarets. S’il achète un baril de rogue, il lui est dû du vin de plein droit. S’il monte un filet, il lui faut du vin. Enfin, il faut compter qu’il se consomme en vin à Belle-Ile la cinquième ou sixième partie de toute la sardine qu’on y pêche ». Ceci était valable dans la plupart des ports bretons. Les effets de l’abus d’alcool sont connus, inutile de s’y attarder. Nous pouvons quand même mentionner quelques cas de décès accidentels relevés dans les registres de catholicité ou de justice. Ainsi en revenant d’une foire en 1707, « épris de vin », Yves GUILLERMIC, 49 ans de Tréguestin, tombe de cheval face contre terre, suffoque et meurt. En 1717, originaire de Belle-Ile, Pierre ILIAQUER meurt noyé dans une mare, le lendemain du mariage de son fils Nicolas à Locmariaquer. Il était quand même âgé de 90 ans. En germinal de l’an IX, Jean LE FLOCH, meunier du moulin d’Estaing en Brech, meure ivre à Auray chez la veuve Jean LE MEUT, qui prévient la famille et le juge de paix. Examinant le cadavre, l’officier de santé remarque « des lèvres enflées et violettes, les pommettes des joues aussi violettes, presque tout le corps rougeâtre et comme flagellé par l’effet du sang extravasé dans tout le tissu cellulaire, ce qu’il a jugé être l’effet d’une trop grande quantité d’eau de vie, et dont l’exhalation se faisait encore sentir ». Des corps étaient aussi régulièrement retrouvés dans les fossés. Réglementations et fraudesLe cabaret ou la taverne était le principal lieu de beuverie, comme le soulignent les témoignages précédents. Chaque bourgade en possédait au moins un. Vannes en comptait au moins 60 en 1704, soit un pour 156 habitants tous âges confondus. La petite ville maritime de Port-Louis en disposait en 1784 de 43, dont 15 dans la rue de la Pointe fréquentée par les matelots, et 16 entre la Grande Porte et Saint-Pierre. C’était souvent des femmes, voire des veuves, qui dirigeaient le commerce. Peu rentable, celui-ci nécessitait un second métier que pratiquait le mari : boulanger, poissonnier, canotier, marin, voire aubergiste sous la même enseigne que le cabaret. Ainsi, parmi mes ancêtres, Perrine LAMARRE était marchande cabaretière rue des Roues à Locminé dans les années 1730. Son second mari François GUEGAN était charpentier, mais son troisième Etienne JEGAT était aussi « débitant de vins et de cidres », autre nom des cabaretiers. Antoine RICHARD était aubergiste puis cabaretier au Port-d’Orange en St Pierre-Quiberon entre 1806 et 1835, mais il devait aussi vivre d’une pension militaire. Jean-Alexis LE ROL tenait lui le « Jeu de Paume » à Auray, mais sur la fin de sa vie vers 1840, après une longue carrière de riche laboureur. Parmi les alcools, se vendaient du cidre et de l’eau de vie produits localement, du vin venant de Nantes et de Bordeaux, parfois de la bière de Hollande. Vieille institution de la période ducale, les Etats de Bretagne étaient notamment chargés de la fiscalité et du contrôle du commerce des vins et des alcools, à travers leurs fermes d’octroi. Les revenus n’étaient donc pas perçus par le roi, comme dans le reste de la France. Deux types d’impôts existaient : · D’une part les billots, taxe locale au profit des villes, notamment lors des foires. Les seigneurs pouvaient lever un même droit de billot, ainsi qu’un droit de bouteillage très minime, comme à Dol, Châteaubriant, Largouet… · D’autre part les devoirs, avec une distinction entre les grands devoirs, prélevés sur les vins pénétrant dans la province et les petits devoirs, prélevés sur le débit au détail. Au 15e siècle, cette imposition était deux fois plus élevé pour les vins étrangers (hors de Bretagne). Elle était fixée par pipe de 450 litres et arrivait au premier rang des taxes indirectes du duché.
La ferme des impôts, billots et devoirs des Etats était octroyée localement par sénéchaussée ou plus exceptionnellement par ville à des receveurs, moyennant de fortes redevances : de 4.000L en 1621 à 27.000L en 1699 pour la ferme de Port-Louis. L’adjudicataire avait pour principales missions d’agréer les établissements en fournissant un stock de boisson, de recouvrer les impositions, de poursuivre les contrevenants. Lors des fraudes, il saisissait la justice, faisaient des perquisitions, réclamait les amendes. Celles-ci étaient fixées à 110L vers 1460, à 600L vers 1700. Le trafic concernait surtout l’approvisionnement direct des tenanciers auprès de producteurs locaux, sans aucune déclaration, l’installation d’un débit clandestin, et même la production et détention d’alcool par des particuliers payant moins de 3L de capitation. Le bureau des devoirs à Port-Louis se justifiait par l’important commerce maritime dans la rade de Lorient et l’éloignement du siège de la sénéchaussée d’Hennebont. Le personnel comprenait au 18e siècle le receveur aidé de trois commis. Etaient tenus un registre pour les charges et réceptions des vins et eaux de vie, un autre pour les livraisons. Le commerce du cidre se développa surtout à partir du blocus continental, lorsque le vin, beaucoup plus apprécié des équipages, fit défaut. Malgré la présence du bureau, les négociants de Port-Louis se plaignaient en 1776 que des navires, mouillés bord à bord dans la rade, passaient souvent quelques tonneaux à l’insu du receveur. Parallèlement, les autorités tentent de lutter contre l’alcoolisme chez les marins. Dans le quartier maritime de Port-Louis, certaines pratiques sont interdites par deux arrêts du parlement de Bretagne, l’un de 1751, l’autre de relance en 1785 : « Fait défenses à tous marchands et fabricants, saleurs de sardines, marchands de rogues du Port-Louis, Locmalo, Gâvre, Kernevel, Larmor-Loquettas, Lomener et Groix, Doellan et lieux voisins, et aux marchands étrangers desdits lieux et autres, de donner à boire sous quelque prétexte que ce soit, soit directement ou par commis, domestiques ou par autre personnes interposées, à aucun maître de chaloupe, matelot, pêcheur desdits lieux et autres, de quelque boisson que ce soit, eau de vie, vin, cidre ni autre liqueur qui puisse les enivrer, même hors le temps de la pêche de la sardine, à peine contre les contrevenants de 500 livres au profit des pauvres de l’hôpital du Port-Louis. Fait pareillement défenses aux maîtres de chaloupe, matelots et pêcheurs, d’exiger qu’on leur donne à boire, à peine de 50 livres d’amende et de prison, contre ceux qui seront trouvés buvants dans les presses de sardine ». En 1790 à Douarnenez, afin que la ville retrouve son calme, le procureur du district requiert une amende de 200 livres à ceux qui débitent des eaux-de-vie le dimanche et les jours de fête, alors que précédemment, l’usage voulait une abstinence le jour du seigneur : « A peine les armements ont-ils commencés, que malgré les succès peu favorables de la pêche, le peuple, excité par l’incroyable facilité de s’enivrer, a abondé dans le bureau de distribution (…) Les débitants s’approvisionnent par pièces énormes, distribuent tous les jours indistinctement à 30 sols la pinte, et en font une immense consommation ». La législation répressive sera inefficace. Ce n’est qu’au début du 20e siècle, qu’une prise de conscience apparaît grâce à l’action du philanthrope Jacques de Thézac. Celui-ci créé l’Almanach du marin breton et l’Abri du marin. Dans le premier, les marins découvrent diverses informations sur les marées, les pensions, la vie de la côte, ainsi qu’une propagande humoristique mais moralisatrice contre l’alcool. Dans le second, ils trouvent gratuitement lors de leurs escales un couchage, un couvert, un dispensaire, un centre d’instruction (cours de lecture, de navigation, d’hygiène), des distractions (jeux, sports, concours, bibliothèque…), ainsi que les fameuses tisanes d’eucalyptus, bref un accueil convivial et un réconfort sensé les détourner des débits de boisson. A la mort de Thézac en 1936, le résultat est plutôt mitigé. Certes sur mer, chacun est d’accord de ne plus boire une goutte, question de vie ou de mort, mais sur terre, les changements sont moins probants… De retour au port, un verre ou deux ne font que prolonger le tangage ! « Il faut bien se détendre, profiter de la vie, rire, s’amuser. La mort est si présente… ». Parole de marin.
Une perquisitionVoici l’exemple d’une perquisition à la campagne en 1710, au village de Kerdonnerh, paroisse de Belz, sénéchaussée d’Auray. Cette fraude en eau de vie était moins fréquente que celles pour les vins, d’après TJA LE GOFF. Le contrevenant est le menuisier Joseph GUILLOTO, époux depuis environ 13 ans de Yvonne MONTFORT (mes ancêtres, pour ne rien cacher). Le document peut se décomposer en plusieurs parties :
Le document étant assez clair, moyennant quelques ponctuations, le voici dans sa quasi-intégralité. Vincent BOUTOUILLIC, écuyer sieur de Kerlan, sénéchal et premier magistrat de la cour et sénéchaussée royale d’Auray, savoir faisant que ce jour vingt deuxième février mil sept cent dix, étant en notre hôtel audit Auray, ayant avec nous pour adjoint Joseph CORDEROT, commis au greffe en cette cour, a comparu environ les six heures du matin noble homme Joseph DUBOIS, receveur des devoirs des Etats, impôts et billots de cette province de Bretagne, et agissant pour les fermiers généraux, assisté de Me Bertrand Joseph HENRY son procureur. Lequel nous a remontré que nonobstant toutes les poursuites que l’on ait pu faire & qu’il fait journellement pour tacher d’empêcher les fraudes continuelles qui se font dans les paroisses de BELZ et MENDON, tant des vins que d’eau de vie, on a pu empêcher jusqu’à présent la continuation des fraudes. Et ayant eu avis que le nommé Joseph GUILLOTO du village de Kerdonnerh en BELZ vend clandestinement & en fraude desdits devoirs de jour et de nuit de l’eau de vie en baril, pots, pinte, chopine, demi-chopine & autres mesures, ce qui fait et cause un grand préjudice aux fermiers desdits devoirs, pourquoi il requiert qu’il nous plaise descendre présentement en la demeure dudit GUILLOTO pour faire état et procès verbal des eaux de vie, fûts et mesures qui pourraient s’y trouver, pour et au cas qu’il s’en trouve, les confisquer au profit desdits fermiers, même les fûts et mesures qui auront servi à vendre et débiter lesdites eaux de vie, et condamner ledit GUILLOTO en cinq cent livres d’amendes au profit des grands devoirs, & en 166L 13s 4d au profit des petits devoirs[1] & de payer outre les devoirs des eaux de vie qui s’y trouveront avoir été débitées & outre le condamner aux dépenses de la présente descente, sauf à prendre et les autres conclusions dans la suite (…) De tout quoi, nous avons décerné acte, et faisant droit sur ladite remontrance & réquisitoire, avons ordonné qu’il sera présentement descendu en la demeure dudit GUILLOTO. Et sommes en compagnie du sieur procureur du roi, dudit CORDEROT commis, dudit HENRY procureur dudit DUBOIS, & des sieurs François LE LOUABLE et Jacques COUTANCE commis-juré aux dits devoirs, ayant pris avec nous Guillaume LORHO, sergent royal pour l’exécution de nos ordonnances, montons à cheval, & nous nous sommes tous rendus jusqu’au village de Kerdonnerh en BELZ en la demeure dudit GUILLOTO. Et où y étant arrivés, avons descendu de cheval, et entré en sa demeure, où avons trouvé une femme à laquelle parlant, lui avons demandé si elle était femme dudit GUILLOTO, laquelle nous a répondu que oui. Et lui demandé son nom et surnom, ne sait voulu autrement se nommer. Lui avons aussi demandé où était son mari. Nous a dit qu’il était à St Cado à travailler de son métier de menuisier. Et ensuite lui avons aussi demandé si elle et son mari ne vendraient point de vin ni eau de vie en fraude des devoirs, et s’il n’y en avait pas chez eux. Elle nous a répondu que non, et qu’elle et son mari n’en avait jamais vendu. Et lesdits commis ayant fait (re)cherche & perquisition dans la maison dudit GUILLOTO, tant dans le bas que dans le haut, et aux issues même dans ses armoires et coffres, ils n’y ont trouvé aucune eau de vie, que trois carteaux et barreau[2] vides, dans l’un desquels il paraît y avoir eu nouvellement de l’eau de vie. Et le requérant ledit HENRY, sommes sortis de ladite maison dudit GUILLOTO pour aller aux environs et issues dudit village. Et le dit COUTANCE ayant entré dans un parc sous lande éloigné de ladite maison de cent pas au derrière d’icelle, il aurait trouvé un fût de barrique dans laquelle il s’y est trouvé le nombre de vingt à vingt cinq pots d’eau de vie bonne loyale et marchande, une grosse bouteille de terre dans laquelle se sont trouvés trois pots d’eau de vie, une petite pigal de verre noir, dans laquelle il s’est aussi trouvé environ une pinte d’eau de vie, & trois pots de terre grise, l’un d’un pot, l’autre de pinte et le troisième de chopine propre à faire la distribution desdites eaux de vie trouvées derrière ladite barrique. Et au-dessus de laquelle barrique sur le fossé y joignant, est une forme de cabane faite de branches d’arbres, à dessein de servir d’enseigne pour distribuer les eaux de vie aux fraudeurs (…) Après avoir fait représenter lesdites bouteilles et pots à la femme dudit GUILLOTO, et lui demandé si elle les connaissait pour être à elle et à son mari, nous répondu que non. En l’endroit, le dit HENRY audit nom, requiert que attendu qu’il a été trouvé dans la demeure propre dudit GUILLOTO lesdits carteaux, barreaux ci-dessus mentionné, et derrière son logement à cent pas ledit fût de barrique et lesdites bouteilles et pots avec les eaux de vie y étant sus spécifiées, & qu’il est de notoriété publique connue pour un fraudeur de profession, & qu’il en fait il y a très longtemps le commerce, qu’il soit condamner en cinq cents livres d’amende au profit des grands devoirs et en cent soixante six livres treize sols quatre deniers au profit des fermiers des impôts et billots (…) Sur quoi, après avoir oui le procureur du roi, vu les conclusions, avons confisqué lesdits carteaux, barreaux, bouteilles, pots, barrique et eaux de vie y étant au profit des fermiers des devoirs, lesquels par le moyen de la charrette (…) ont été enlevés et charroyés et conduits en ladite ville d’Auray et mis au bureau desdits devoirs. Et attendu l’absence dudit GUILLOTO, avant faire droit sur les conclusions dudit DUBOIS audit nom, avons ordonné que ledit GUILLOTO sera assigné pour être oui sur les faits portés au présent procès verbal (…)
Le document décrit assez bien le débit clandestin au milieu des champs. Le résultat de la perquisition est mitigé. Certes entre 50 et 60 litres d’eaux de vie sont saisis et rapportés au bureau des devoirs à Auray, mais ils ne représentent qu’une partie du trafic potentiel avec les fûts retrouvés vides. Même si Yvonne MONTFORT ne reconnaît pas les faits, son mari est convoqué au tribunal. Moins d’un mois plus tard, il ne s’est toujours pas présenté. Pire, il semble continuer son trafic plus que jamais, de jour comme de nuit ! Le 16 mars, vers 15 à 16H, toujours assisté de son procureur Me Bertrand Joseph HENRY, le receveur Joseph DUBOIS se représente donc devant le sénéchal Vincent BOUTOUILLIC et son adjoint du moment Me Guillaume ALLAIN, sieur du Minier, greffier de la cour. Il requiert une nouvelle perquisition. Outre la précédente condamnation, il réclame pour récidive, la saisie et la vente de tous les meubles et effets, bestiaux et chevaux dudit GUILLOTO pour permettre le paiement de l’amende des devoirs, des frais de descente et des autres peines éventuelles. Alors que la nuit tombe, partent donc à cheval pour Kerdonnerh, outre le sénéchal, le greffier, le receveur et son procureur, cinq autres personnes : le procureur du roi David PEZRON, les commis aux devoirs Claude DE LA PIERRE, François LE LOUABLE et Jacques COUTANCE, l’huissier Joseph Hyacinthe LE MEZEC... Environ les neuf à dix heures du soir, (…) nous avons remarqué avant d’arriver audit village, qu’il paraissait beaucoup de lumière dans la maison dudit GUILLOTO. Les dits LOUABLE et COUTANCE nous ont dit que comme ils étaient proches de ladite maison, et prêts de descendre de cheval, ils auraient vu deux ou trois hommes sortir de chez ledit GUILLOTO avec empressement, parmi lesquels ils disent avoir (re)connu ledit GUILLOTO. Lequel ils voulurent arrêter, mais il se sauva par-dessous un harnais qu’il se trouva à la porte de ladite maison, et deux chevaux, dont l’un avait tout son équipage avec un collier prêt à être attelé au harnais, et l’autre avec seulement un collier (…) Et les dits LOUABLE, COUTANCE et MEZEC ayant été les premiers entrés dans ladite maison, n’y aurait trouvé que la femme dudit GUILLOTO avec un autre homme à eux inconnu. Lequel homme fit tous ses efforts pour sortir aussi de ladite maison, mais ayant trouvé le sieur procureur du roi à l’entrée de la porte qui l’arrêtait, donna au dit sieur procureur du roi un coup de tête dans l’estomac, croyant par ce moyen le faire reculer. Mais ayant été nonobstant cela arrêté, ledit homme prit ledit sieur procureur du roi au travers du corps, quoiqu’il lui dise qui il était. Et s’est trouvé sur la table de la chambre d’entrée de ladite maison, un pot de terre grise, dans lequel y avaient encore quelques gouttes d’eau de vie anisée, une mesure de demi-chopine d’étain, une fort petite tasse de faïence propre à boire de l’eau de vie, qui était encore tout humide de ladite eau de vie. Et à trois pas de ladite table, sur un petit dressoir aurait été trouvé une petite avouillette[3] de fer blanc avec un pot de terre dans lequel il y avait environ une chopine de cidre. Aurait aussi trouvé sur la table de ladite chambre au côté de la fenêtre, un bissac[4] dans lequel il y a quelques deniers, liards[5] et sols marqué. Et lesdits commis ayant fait perquisition en notre présence dans une autre chambre à côté de celle d’entrée, ils y auraient trouvé sur un coffre dans une petite ruche et une jade de bois, aussi quelques liards et deniers. Et ledit HENRY audit nom, nous auraient fait remarquer au côté de la porte qui va de la chambre d’entrée à la seconde, un esponton[6] et deux fourches de fer. Et après quelques perquisitions faites en ladite maison, ayant regardé avec une chandelle sous le lit prochain de la fenêtre d’entrée s’il n’y avait pas quelque eau de vie cachée, y aurions trouvé un jeune homme sous ledit lit, duquel endroit nous l’avions fait sortir. Et avons procédé aux interrogatoires de la femme dudit GUILLOTO, dudit homme et dudit garçon trouvé sous le lit, comme ensuit, le tout séparément, après avoir pris leur serment de dire vérité ce qu’ils ont promis de faire après avoir levé la main, savoir : La dite femme avoir nom Yvonne MONFORT, âgé d’environ trente et trois ans, femme de GUILLOTO menuisier dudit village de Kerdonnerh. Lui demandé s’il n’est pas vrai que ledit GUILLOTO son mari vend depuis longtemps clandestinement en eau de vie, vins et cidres en fraude des devoirs des Etats, et qu’on a trouvé sur la table de ladite chambre un pot de terre, une mesure de demi-chopine et une petite tasse dans lesquels il y a eu récemment de l’eau de vie, avec un pot aussi de terre, où il s’est trouvé du cidre, et lui demandé aussi à quel dessin il y avait un harnais à deux chevaux tout équipés prêts à atteler audit harnais à la porte de ladite maison, et ou était son dit mari. Nous a ladite MONFORT dit qu’elle ne croit pas que son dit mari ait jamais vendu aucune boisson en fraude desdits devoirs, et (…) qu’elle n’avait point maîtresse de ses actions, et qu’il n’y avait point eu d’eau de vie dans ledit pot, demi-chopine, avouillette, et tasse, et qu’elle avait eu ledit cidre du bourg d’ERDEVEN, et qu’à l’égard des chevaux ne sait à qui ils appartiennent, et que ledit harnais se tient toujours dans la place qu’il est, et que son mari est absent depuis ce matin. Et lui demandé ce que faisaient quatre ou cinq hommes qu’elle avait chez elle, et pourquoi elle avait lesdits deniers et sols sur la table. A dit que les dits deux hommes y trouvés étaient venus causer chez elle après souper, causer et n’avoir pas vu d’autres, et qu’elle avait tiré de son coffre lesdits deniers et liards à dessein de les compter. Et est son interrogatoire, qu’elle a affirmé véritable et a déclaré ne savoir signer. Et le dit homme a dit avoir nom Pierre GUEZEL, âgé d’environ trente et huit ans, charpentier dudit village de Kerdonnerh. Dit qu’il était venu dans la maison où on l’a trouvé pour veiller et causer, et ne savoir à qui appartiennent les chevaux qui ont été trouvés à la porte, et qu’il a fait tous ses efforts pour s’en aller quand nous sommes arrivés par la crainte qu’il avait de nous sans savoir pourquoi, et n’avoir pas (re)connu le sieur procureur du roi, et que s’il a fait quelques efforts pour se débarrasser de lui, il lui en demande pardon et excuses. Et lui ayant représenté le dit pot, tasse, demi-chopine et avouillette, et que suivant les apparences il était en ladite maison pour boire de l’eau de vie. A dit n’avoir aucune connaissance qu’il y ait aucune eau de vie dans ladite maison, ni à quoi servaient lesdits pots, avouillette, demi-chopine et tasse, et ne savoir aussi d’où était venu le cidre lui représenté, disant n’être parent dudit GUILLOTO. Et est son interrogatoire, lequel lui relu, il a affirmé véritable et a dit ne savoir signé. Et le dit garçon trouvé sous le lit a dit avoir nom Bertrand LE GUENNEC, âgé d’environ vingt et trois ans, originaire du Magouero en la paroisse de PLOUHINEC, et demeurant depuis les huit jours à Kerjosselin[7] paroisse d’ERDEVEN en qualité de valet chez le nommé Patern LE BONHOMME, et ne sait autrement son nom. Dit qu’il est parti environ les six heures du soir dudit village de Kerjosselin sur un cheval appartenant à son maître pour venir dans ce village de Kerdonnerh dire à un maréchal, qui y est, d’acheter du fer pour son maître. Et comme il s’en retournait, ayant vu plusieurs personnes à cheval, il est venu se réfugier chez ledit GUILLOTO. Et y étant et oui que les dites personnes à cheval descendaient à la porte dudit GUILLOTO, il s’est caché de peur d’eux sans savoir pourquoi dessous le lit où on l’a trouvé. Et lui ayant demandé d’où vient que son cheval avait le collier. A dit avoir pris le dit collier que ledit maréchal, parce qu’il appartenait à son maître. Et lui représenté ledit pot de terre, mesure de demi-chopine, tasse, avouillette et cidre, et demandé s’il n’est pas vrai qu’il était dans ladite maison à boire de l’eau de vie, et qu’il était venu chez ledit GUILLOTO avec son cheval pour l’atteler à un harnais et aller chercher ou transporter de l’eau de vie. A dit n’avoir point vu ni bu d’eau de vie depuis qu’il était dans ladite maison, et n’avoir eu aucun dessein que de s’en aller chez son maître. Et est son interrogatoire, lequel lui relu, qu’il a déclaré véritable et a dit ne savoir signer. Et lesdits commis et MEZEC faisant des perquisitions tant dans ledit village de Kerdonnerh qu’aux environs, nous seraient venus dire avoir trouvé dans un petit appentis en forme de loge où personne ne demeure, joignant la maison du nommé LE VISAGE, le nombre de dix huit barreaux de différentes grandeurs et un quarteau dans lequel il y a un peu de vin blanc. Et nous y étant transporté, avons vu lesdits barreaux de différentes grandeurs et ledit quarteau, où il y a encore un peu de vin blanc mêlé d’eau de vie, ce que nous avons donné pour apurer. Lequel requérant le dit HENRY, avons interrogé la fille dudit LE VISAGE qui s’est trouvée présente. De laquelle, le serment pris de dire la vérité, laquelle a promis de faire après lui avoir fait lever la main, a dit se nommer Marie LE VISAGE, fille de Grégoire LE VISAGE laboureur demeurant audit Kerdonnerh, voisin du nommé GUILLOTO, âgée d’environ quinze ans. A dit que c’est le nommé GUILLOTO qui a mis les dits barreaux et le quarteau dans ladite loge où personne ne demeure, et qu’il y a environ huit jours qu’ils y sont, aussi bien ledit quarteau, et que personne n’ose rien dire audit GUILLOTO, parce qu’il est redouté et craint dans ledit village. Dit de plus avoir souvent vu des personnes inconnues tant de Larmor que de Pont Degan[8] venir le jour chez ledit GUILLOTO avec des chevaux et s’en retourner la nuit avec de l’eau de vie qui les prenait de chez ledit GUILLOTO. Et est sa déclaration, laquelle lui relue, elle a affirmé véritable et a dit ne savoir signer. Et dudit lieu, nous étant transporté, le requérant les dits commis et ledit HENRY en la demeure du nommé GAHINET, chez lequel les dits commis auraient encore trouvé le nombre de quarante et trois barreaux de diverses grandeurs, et deux fûts de barrique, le tout vide, mais dont les dedans paraissent encore tout humides d’eau de vie, nous avons procédé aux interrogatoires dudit GAHINET et de son fils. Desquels, les serments pris de dire la vérité, ce qu’ils ont promis de faire après avoir levé la main, et séparément interrogé, ont dit savoir ledit père se nommer Georges GAHINET, âgé d’environ soixante ans, demeurant audit Kerdonnerh paroisse de BELZ, qu’il est vrai que le nommé GUILLOTO a fait mettre dans sa maison en son absence lesdits barreaux et fût sans savoir à quel dessein, mais n’avoir osé refuser ledit GUILLOTO, crainte de lui déplaire, attendu que c’est un homme redouté dans le village et dans le pays, et que le dit GUILLOTO est son neveu du côté de sa mère. Et est sa déclaration, laquelle lui relue, il a affirmé véritable et a dit ne savoir signer. Et le dit fils a dit avoir nom Yves GAHINET, fils dudit Georges, âgé d’environ douze ans, demeurant avec son dit père, et qu’il a connaissance que lesdits barreaux et fûts de barrique appartiennent au nommé GUILLOTO, et qu’il y a environ quatre mois qu’ils sont audit lieu, et qu’à mesure qu’il en a besoin, il en vient prendre, et avoir vu une barrique entre deux haies pleine d’eau de vie, qui appartenait audit GUILLOTO, parce qu’il n’y a que lui qui vend et qui fasse commerce d’eau de vie dans ledit village. Et est sa déclaration, laquelle lui relue, il a affirmé véritable et a dit ne savoir signer. Et le requérant, le dit HENRY audit nom, nous nous sommes transportés dans la demeure du maréchal dudit village pour savoir si le contenu dans l’interrogatoire dudit Bertrand LE GUENNEC est véritable. Où étant et parlant à la femme dudit maréchal, qui nous a dit se nommer Marie BELZ, femme de Pierre RIO, maréchal demeurant audit Kerdonnerh, âgée d’environ cinquante ans, et d’elle le serment pris et en tel cas requis, et lui demandé ou est ledit RIO son mari, et s’il est vrai qu’un jeune homme âge de vingt et trois ans, à présent valet du nommé Patern LE BONHOMME de Kerjosselin en ERDEVEN fut parler hier à son mari pour lui dire acheter du fer pour son maître, et lui demander un collier propre pour un cheval de harnais qu’il avait chez lui en garde. Laquelle a dit n’avoir vu aucun homme parler à son mari et n’avoir eu aucun collier de cheval à garder chez eux à qui que ce soit, disant que son mari est absent depuis hier les trois à quatre heures du soir. Et est sa déclaration lui relue, qu’elle a affirmé véritable et a dit ne savoir signer. De tout quoi, avons décerné acte et après avoir oui ledit sieur procureur du roi en ses conclusions, attendu qu’il y a une autre instance intentée contre ledit GUILLOTO pour avoir vendu clandestinement et en fraude des devoirs des eaux de vie, avons ordonné que les dits deux chevaux, harnais, espontons, fourches, bestiaux et autres meubles appartenant audit GUILLOTO seront séquestrés suivant un procès verbal qui en sera fait par ledit LE MEZEC huissier, séparé du présent. Et après avoir fait compter en notre présence lesdits deniers, liards et sols marqué, il s’est trouvé la somme de cent neuf livres et quinze sols, laquelle somme demeurera en main dudit DU BOYS, pour les représenter lorsque de justice sera ordonné, et qu’il sera fait droit définitivement entre parties. Et avons aussi confisqué lesdits barreaux, fûts et quarteaux au profit de ladite ferme, lesquels attendu que le transport coûterait plus que la valeur ont été brûlés par lesdits commis aux devoirs. Une fois le procès-verbal rédigé sur place, la perquisition se termine vers 5H le lendemain matin. Les juges remontent alors à cheval et retournent à Auray, avec de lourdes charges contre Joseph GUILLOTO. Au total, entre les deux perquisitions, ont donc été retrouvés trois barriques, quatre quartauts, une soixantaine de barreaux, qui bien que vides pour la grande majorité, prouvent un trafic assez important pour de l’eau de vie. Trois semaines plus tard, le 8 avril, le procureur du roi David PEZRON requiert une amende de 600L au profit des fermiers des devoirs, et de 200L, soit le tiers de la précédente somme, au profit des fermiers des impôts et billots, soit au total 800L à comparer aux 666L initialement réclamés par le receveur DUBOIS. Les effets mobiliers et les bestiaux ne semblent pas avoir été finalement saisis. Réactions populairesCes deux perquisitions, et notamment la seconde, se sont relativement bien déroulées. Même s’ils risquent bien moins que Joseph GUILLOTO, les complices craignent le pire des autorités. Une partie fuit déjà la maison, avec une tentative ratée pour Pierre GUEZEL, qui bouscule le procureur du roi ! Une autre partie est prise quasiment sur le fait, tentant même de se cacher sous un lit (!), mais elle n’avoue rien. Enfin les voisins accusent le fraudeur de terrorisme, pour manifestement se dégager de toute responsabilité sur l’entrepôt des fûts... Et pourtant, tous avaient certainement profité du petit commerce illicite, même les plus jeunes ! Les réactions en ville étaient complètement différentes, les perquisitions s’effectuaient moins facilement. En 1621, un huissier était blessé à coups d’épée par 10 à 12 soldats de la garnison de Port-Louis, alors qu’il commençait une saisie chez un tavernier. A Vannes, les émeutes n’étaient pas rares. En 1732, la foule séquestrait des commis à l’intérieur d’une boutique, leur jetant des pierres, des crottes, une poule pourrie. Le receveur déclarait alors qu’en général, lorsque les commis « veulent faire leur emploi, tout le peuple se soulève contre eux, fait des rébellions, les assommant à coups de bâton, de pierres, et avec des armes à feu, les empêche de faire leur visite et exercice, et les force même de s’enfuir pour mettre leur vie à couvert ». En fait, « la plus grande partie des habitants fraudent journellement (…) par le débit clandestin, qui se fait en différents endroits, et ils se trouvent même soutenus par des personnes de considération ». Effectivement, le trafic impliquait parfois des notables, notamment dans la presqu’île de Sarzeau, qui produisait son propre vin, quoique de qualité inférieure à celui de Nantes ou de Bordeaux. Dans les années 1730, le procureur de la sénéchaussée de Rhuys et un huissier de la Cour étaient accusés de vendre eux-même du vin ou de le fournir en gros aux cabaretiers au-dessous du prix des devoirs. Les tonneaux étaient simplement déplacés de la cave de l’un des contrevenants à celle du cabaret voisin par une porte arrière. En 1698, les commis de Port-Louis découvraient un baril de fenouillet chez le commissaire de la Marine, qui leur cria poliment « de lui tourner les talons et de sortir hors de sa maison ou qu’il les aurait mis par les épaules dehors ». Des tentatives de corruption existaient sûrement, comme pour le cabaret de « Papa Jahier », ayant pignon sur rue dans le quartier de St Patern à Vannes, mais complètement illégal.
Principales sources manuscrites et bibliographiques
[1] Les petits devoirs semblent assimilés dans la suite aux impôts et billots. [2] La correspondance de la mesure de barreau n’a pas été trouvée. Elle semble inférieure au quartaut. [3] Avouillette : entonnoir. [4] Bissac : Besace ou sac fendu en son milieu, formant deux poches. [5] Liards = 3 deniers = 1/4 de sou. [6] Esponton : Arme d'hast issue de la pertuisane, plus petite et plus courte, avec une lame centrale élargie en feuille. C’est également une demi-pique, servant à l’abordage des navires. [7] Ce village est situé à environ 1 km au sud de Kerdonnerh. [8] Le village de Larmor est situé à 3 km au nord de Kerdonnerh, au bord de la rivière d’Etel. Pont Degan n’a pas été identifié, ni sur la carte de Cassini, ni sur une carte IGN actuelle. C’est peut-être une déformation de Pont du Sach. |