| Les prêtres réfractaires dans le Morbihan
Au début de la Révolution, le clergé, surtout celui de campagne, participa assez activement à la mise en place des nouvelles institutions. Il espérait ainsi voir améliorer sa situation, pas toujours enviable. Un comité ecclésiastique se réunit à Paris dès le 12 Août 1789. La position d'une grande majorité des religieux bascula dans le courant de l'année 1790, face à plusieurs décrets et lois votés par l'assemblée nationale. Le 13 Février, l'engagement des vœux est tout d'abord suspendu. Le 12 Juillet, la constitution civile du clergé est adoptée. Le 27 Novembre, les ecclésiastiques doivent, dans un délai de deux mois, prêter serment "d'être fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi, et de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution". La limite des diocèses est aussi redéfinie en fonction de celle des départements. En conséquence, de nombreux évêchés disparaissent. La Bretagne, qui a toujours été d'une grande ferveur religieuse, comptait avant la Révolution neuf diocèses: ceux de Rennes, Vannes, Quimper, Saint-Brieuc, Nantes, Léon, Tréguier, Saint-Malo et Dol. Ces quatre derniers sont supprimés. Le mécontentement général se prononce encore plus parmi le clergé breton que dans celui du reste de la France. Le début du mouvementLes premières manifestations commencent dans le département du Morbihan dès l'automne 1790. Le 16 Décembre a lieu à Sainte Anne-d’Auray un pèlerinage exceptionnel. L'évêque de Vannes, Mgr AMELOT est alors accusé par les autorités départementales d'organiser des processions contre les nouvelles lois et d'y laisser prononcer des "serments incendiaires". Alors que les deux mois du décret du 27 Novembre s'achèvent, l'administration constate le refus quasi général du clergé paroissial de prêter serment. Le Morbihan arrive en tête des départements bretons avec 85% d'insermentés. Ce pourcentage baisse dans les circonscriptions du Faouët, de Hennebont et de Pontivy, où il atteint 80%, ce qui est également la moyenne générale sur la Bretagne. Seule la région Bas Rhin-Moselle dépasse l'Ouest avec 92%. Peu de temps après ces statistiques, début Février 1791, vingt paroisses morbihannaises, ainsi que le collège et le séminaire de Vannes, déclarent des pétitions. Le 7, plusieurs centaines de paysans venant de Surzur, Theix, Plescop, Sulniac et autres environs se rassemblent près de Vannes, puis le 13, croyant l'évêque menacé, ils se dirigent vers la ville, armés de bâtons, de faux et de quelques fusils. Mais ils sont arrêtés en route par la garde nationale, les dragons de Lorient et le régiment de Wash, formant ensemble 1500 hommes. Il y eut une douzaine de morts et une trentaine de prisonniers chez les révoltés. Le lendemain de ces évènements, Mgr AMELOT disparaît de l'évêché. En effet, le 15 les gardes font prêter de force le serment aux religieux qui s'y trouvent. De retour de sa cachette le 22, l'évêque demande la rétractation de son clergé, mais il est arrêté six jours plus tard. Conduit à Paris pour y être jugé, Mgr AMELOT s'exilera en Octobre 1791. La situation est similaire dans les autres départements: les évêques ont été déposés et des élections sont prévues pour Mars 1791. Elu dans le Finistère, EXPILLY est le premier évêque constitutionnel français, dès Octobre 1790, du fait du décès de son prédécesseur. GUEGAN, recteur du gros bourg de Pontivy et membre de l'assemblée nationale, est nommé évêque de Vannes, mais suite à une lettre du pape, il refuse. Il sera déporté l'année suivante. LE MASLE, ancien recteur d'Herbignac (44) le remplace alors. Le lendemain de son arrivée de Paris, le 22 Mai 1791, il est intronisé à Vannes. Assiste à cette cérémonie une foule de seulement 200 personnes surveillées par des soldats et par la garde nationale... La situation va s'endurcir. La clandestinitéAu cours de l'été 1791, les différentes autorités départementales de Bretagne demandent à Paris les possibilités de prendre certaines mesures contre les réfractaires: les éloigner de leurs anciennes paroisses, les réunir puis les incarcérer, et interdire les processions nocturnes qui prennent de l'ampleur. A partir d'Août, la citadelle de Port-Louis devient le lieu d'incarcération de tous les prêtres pris dans le Morbihan. Le mois suivant, une amnistie est proclamée, mais elle est de courte durée puisque supprimée le 19 Novembre. Dès son arrivée à l'évêché, Mgr LE MASLE avait décidé le remaniement de ses paroisses, avec le remplacement des curés et vicaires réfractaires. Cependant, la population refusait les nouvelles religions. Les prêtres assermentés, qui lui étaient imposés, étaient souvent expulsés par les fourches des paysans ! En fait, dans les campagnes, les gens hébergeaient et nourrissaient les réfractaires en fuite. Parmi les nombreux cas signalés, Julien LE FORMAL, recteur de Port-Louis, fut libéré de la fameuse citadelle en Février 1792, puis réussit à exercer clandestinement son ministère en se cachant dans la campagne de Riantec. Le tableau ci-dessous fait état des baptêmes qu'il célébra pour les habitants d'un petit village dépendant de Riantec. Y sont distingués les différents types de célébrations suivant la ferveur de la famille du nouveau-né. Par soucis de sécurité, les cérémonies étaient souvent regroupées. Ainsi, le 12 Mars 1798 furent célébrés dix baptêmes d'enfants nés pour la plupart au cours des deux années précédentes.
L'exil ou la prison
A l'été 1792, il est décidé que les réfractaires morbihannais seraient exilés à partir de Port-Louis. Le 25 Août, 29 prêtres sont dénombrés dans les prisons de la citadelle. En Septembre et Octobre, 28 sont déportés à Jersey mais ils ne composent qu'une infime partie du clergé breton exilé. Seulement un peu plus du tiers des paroisses du diocèse de Vannes est alors occupé par des prêtres constitutionnels. Les déportations les plus redoutées étaient celles pour l'Espagne et la Guyane. Le transit par Rochefort était de sinistre réputation, car il y avait beaucoup de mort sur les pontons. En 1794, de nombreux prêtres morbihannais y sont conduits. Ils ont entre 28 et 51 ans, avec une proportion plutôt jeune, et exercent surtout aux alentours de Vannes. En 1798, trois sont déportés en Guyane. Les prisons de Port-Louis n'avaient guère meilleure réputation. Quelques réfractaires réussirent toutefois à s'y échapper. Le recteur de Guern, Mathurin LE MAY, détenu pendant 14 mois, se sauva en Août 1792 en escaladant les remparts à l'aide plusieurs chemises et autres linges liés ensemble. En Août 1797, c'est huit prêtres qui s'évadaient en même temps, mais en Janvier 1793, le vicaire de l'île d'Houat fut rattrapé alors qu'il parvenait à la mer. Les exécutionsPar les décrets des 11 et 12 Mars 1793, les insermentés, qui ne s'étaient pas livrés prisonniers ou avaient refusé l'exil, étaient susceptibles d'être condamnés à la peine de mort, de même que leurs receleurs. L'affaire la plus tristement célèbre est la noyade de 83 prêtres dans la Loire en Novembre, ordonnée par le représentant du peuple CARRIER. Dans le Morbihan, le tribunal criminel, qui était l'un des plus cruels de l'Ouest, est établi dans l'Eglise de la Congrégation à Lorient. Julien François MINIER, arrêté fin 1793 à Limerzel, est le premier prêtre guillotiné place de la Révolution (actuelle Place Alsace-Lorraine), le 10 Janvier 1794. Dix autres seront exécutés cette année là à Lorient. Les accompagnent sur l'échafaud, pour les avoir aidés dans leur fuite, de nombreuses personnes, y compris des notables. Ainsi Joseph MAURICE, maire de Pluherlin est guillotiné pour avoir aidé Jean OLIVIER, prêtre de Quistinic (1). Pierre GIQUEL, maire de Saint Vincent-sur-Oust, est guillotiné avec Noël BRIEN, prêtre de Saint Maurice. Les femmes ne sont pas non plus épargnées: pas moins de cinq en 1794. La même année, Rochefort fait moins de victimes : 4 réfractaires pour le diocèse de Vannes ! Au total en Bretagne, une cinquantaine d'ecclésiastiques sera guillotinée ou fusillée d'Octobre 1793 à la fin de l'année suivante. Dans le Morbihan, il y en aura une vingtaine pendant toute la Révolution. A partir d'Avril 1794, une prime de 100 livres était accordée pour encourager la dénonciation !.. La chouannerieMalgré tous les dangers, la majorité de la population bretonne demeure fidèle à son clergé. Le 21 Février 1795, l'Assemblée Nationale décide le retour à la liberté des cultes, à condition que la manifestation de ceux-ci ne trouble pas l'ordre public. Plusieurs réfractaires réapparaissent alors dans leurs paroisses, mais suite à nouveau décret en Mai, ils regagnent leurs cachettes. En Juillet à Quiberon, le débarquement des émigrés royalistes, soutenus par la flotte anglaise et par des milliers de chouans, échoue face à l'armée du général républicain HOCHE. Parmi les 750 exécutions qui s'en suivent, 15 ecclésiastiques, dont le dernier évêque de Dol, sont fusillés. La confiance est alors loin d'être rétablie.
Le Tribunal Criminel du Morbihan est transféré au début de l'année 1796 de Lorient à Vannes, où presque aussitôt, en Mars, sept prêtres sont guillotinés. Un peu plus tard, un autre de la cathédrale est assassiné à coups de couteau par trois hommes. Dans le premier semestre 1797, une sensible restauration du culte réapparaît. A l'été, plusieurs feux de Saint Jean sont allumés, puis le 24 Août, toute la législation répressive contre le clergé est abrogée. Le décret est supprimé dix jours plus tard, mais les autorités départementales tolèrent de plus en plus le culte, alors que la complicité de la population est très active. Le 6 Octobre, 15 réfractaires de Cornouailles s'embarquent néanmoins à Lorient pour un exil volontaire à Saint Sébastien. La normalisationEn 1799, plus qu'une cinquantaine de prêtres constitutionnels reste fidèle à Mgr LE MASLE. Si la guillotine ne tranche plus souvent, quatre religieux sont encore assassinés dans le diocèse cette année là et la suivante. La normalisation de la situation ne commence qu'à partir de l'accession au pouvoir du Général BONAPARTE par son coup d'état du 18 Brumaire. Fin 1799, deux décrets rétablissent le culte. Les réfractaires déportés en Guyane sont de retour l'année suivante. A Lorient, la chapelle de l'Hôpital est réouverte le 29 Juin 1800. Mais dans la plupart des régions, certains cultes ne seront autorisés qu'au Concordat de 1802, par lequel le pape PIE VII reconnaît l'existence légale de l'Eglise. Le texte restera en vigueur en France jusqu'en 1903. Seule l'Alsace-Lorraine, qui était alors allemande, continue à l'appliquer. Ce concordat ne créé toutefois pas l'unanimité. D'une part, les constitutionnels doivent démissionner, mais beaucoup d'entre eux refusent, comme LE MASLE qui meurt en 1803 sans avoir cédé. D'autre part, certains prêtres de l'Ancien Régime ne reconnaissent pas la nouvelle constitution du clergé. Ils sont entraînés par le chef chouan CADOUDAL et Mgr AMELOT, qui déclarent que l'Eglise doit rester fidèle à Louis XVIII. Il existera alors jusque vers 1810, et surtout dans le Morbihan, un mouvement très actif surnommé « La Petite Eglise ». Une majeure partie des ecclésiastiques du Morbihan se rallie néanmoins à Mgr PANCEMONT, le nouvel évêque de Vannes. Dès son arrivée dans le diocèse, celui-ci se rendra avec le préfet à Lorient, Hennebont, Port-Louis et Auray pour y calmer les esprits. (1) D'après Patrick Le Floch (mail de mars 2007), Jean OLLIVIER a bien été arrêté en mars 1794, et condamné à réclusion par le Tribunal criminel de Lorient. Il est incarcéré à Vannes, mais est libéré en avril 1795 grâce au décret de Brue. Il échappe ainsi à la guillotine, mais il est assassiné à Quistinic par les militaires le 29 décembre 1795. Principales sources bibliographiques
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