Paul Le Duic (1779+1821 KN) Déserteur sous l'Empire
Paul est né le 3
mars 1779 à Kerner, cinquième et dernier enfant de la famille. Son père
Dominique était parti pour les Indes depuis cinq mois, et en fait, était
déjà mort depuis décembre. Sa mère Jeanne Loho disparaît peu après
enseptembre 1782. Avec ses
frères et sœurs, il a alors pour tuteur son oncle Jean Loho, qui lui
aussi décédé, est remplacé par François Le Quellenec, un autre
oncle. Dans les faits, les enfants mineurs semblent avoir été élevés
d’abord par leur grand-mère Anne Le Costevec, veuve de François Le
Duic, puis après le décès de celle-ci en février 1789, par leur
tante Jeanne Le Duic, veuve d’Alexis Le Quellec et sans enfant.
Brest en 1793 (Jean-François Hue,
Musée de la Marine). Dans une scène apparaît un prisonnier, sans
doute déserteur.
Comme beaucoup de
gens de mer, Paul aurait commencé à naviguer vers 12 ans, soit en 1791,
et était mobilisable à partir de 18 ans, soit en 1797. Sa carrière
n’est toutefois connue qu’à partir de 1804 : il est dit
« au service ». De 1805 à 1807, il retourne à la pêche
et commande la chaloupe Marie-Vincente. Il navigue au cabotage en
1808, sur la chaloupe les Deux amis en 1809. Il est ensuite
affecté sur la canonnière la Subtile, de laquelle il déserte
et est condamné à trois courses de bouline à Rochefort le 6 janvier
1810. Il continue au service pendant quatre années, sans précision
dans le registre des matricules (référencé 2P107 folio 461 numéro
305 au SHD à Lorient). Il mesure 1m 62, a les cheveux châtains foncés,
les yeux bruns, mais il devient borgne de l’œil gauche.
C’est un dossier
au Service Historique de la Défense à Vincennes, qui nous apprend
qu’il a été affecté sur la frégate la Prégel (mise en
service en mars 1811 à St Malo), de laquelle il déserte, pour une seconde fois, le 7 juillet 1812. Tentant sans
doute de rentrer chez lui, il est retrouvé par la gendarmerie de
Riantec le 30 janvier 1813, et est rendu aux autorités maritimes le 26 février.
Le 11 mars suivant, un conseil de guerre tenu à bord de la frégate
L’Hortense en rade de Brest le condamne à nouveau à courir la
bouline trois fois.
Cettepeine consiste à faire traverser le condamné entre deux haies
de marins le frappant avec des boulines, qui sont des cordes tressées,
servant initialement à tenir une voile. Dans son livre « Les
mauvais
numéros », Martial Chaulanges (1903+1983) a bien reconstitué la
peine, que subit son ancêtre François Bellardie, acteur malgré lui
des guerres napoléoniennes. « Un second pavillon rouge monte
au perroquet d’artimon et l’officier de service, la main sur son épée,
crie : «Canonniers et matelots, faites votre devoir.» C’est
le moment. Il lui faut marcher derrière le factionnaire qui réglera
l’allure, le long du passavant de tribord, entre deux rangées de
marins armés d’une bouline, – matelots d’un côté, canonniers de
l’autre. Au passage, chacun lui portera un coup vigoureux de ce
cordage souple, long d’une coudée. Il part bien droit, regard fixé
haut et loin, de son pas vif et dégagé, régulier comme à la parade.
Les premiers coups, redoutés de tout son corps crispé, le font
tressaillir à peine. Mais très vite, se relayant, s’ajoutant, se
multipliant, s’exaspérant, les douleurs enveloppent son torse nu : brûlures
en lanières aux épaules, lancées profondes dans le thorax, couperets
aigus sur les bras. Les dents serrées, réprimant les réflexes
d’esquive ou d’affaissement, il poursuit ses deux premières
courses, de l’avant à l’arrière, de l’arrière à l’avant. A
la troisième, le factionnaire accélère visiblement l’allure; le
capitaine d’armes le rappelle à l’ordre, mais le parcours s’achève.
Un chirurgien s’approche pour examen. D’un geste brusque, François
se dégage et disparaît dans la grande écoutille pour regagner
l’entrepont. Les nerfs à vif, la tête en feu, il se hisse péniblement
dans son hamac. Bientôt tout se brouille. La souffrance même
s’endort et il se sent rouler vers un abîme sans fond. »[1]
Paul avait subit la
première des peines pour désertion. En tant que récidiviste, il
aurait pu être condamné au boulet, voire à la peine capitale. Mais la
Marine avait trop besoin d’hommes à bord de ses navires. Toutes ces
peines avaient été édictées en 1790, et revues en 1804, face à la
montée de la désertion dans les équipages. La bouline s’attaquait
surtout à l'honneur de l'homme, car quoi de plus affreux que d'être
frappé par ses égaux. Ces derniers tentaient toutefois de ne pas
frapper trop fort leur congénère infortuné, malgré l’œil vigilent
des officiers. A la fin de l’Empire, la bouline tombait en désuétude,
et était même sujet de dérisions parmi les équipages en 1837. Elle
n’était pas très dissuasive finalement. Comme les autres peines
corporelles, elle fut officiellement aboli en 1848, et remplacée par
des peines de cachot, retenues sur soldes, et retrait des promotions.
Paul revient de Brest le 28 mai 1814, après la chute de l’Empire. Il apprend le décès de son fils unique en 1808, de son épouse
Olive Scolan en 1812, de sa tante Jeanne en 1813, et la disparition de
son frère aîné Dominique, sans nouvelles depuis 1793. Il se remarie alors le 29 janvier 1815, avec Anne
Le Blevec, qui lui donne dès décembre un fils, Paul (futur fondateur de la 3e branche de Gâvres), puis une fille
quatre ans plus tard. En 1816, il pêche dans la chaloupe d’Yves Le
Duic, son cousin de Port-Louis. Sans grande conviction, fatigué et accablé par la guerre et les
évènements de la vie, il s’intéresse peu au patrimoine familial. Le 12 octobre 1821, gravement malade, il fait déplacer le
notaire Jean-Marie Cougoulat de Port-Louis à Kerner pour la signature
d’un acte. Il meurt quatre jours plus tard, le 16, à l’âge
de 42 ans.
[1]Les
mauvais numéros - La Terre des autres (tome 1),
Martial Chaulanges, Presse universitaire de Grenoble, Collection L'Empreinte
du temps, 2000.
Port
de BrestAu
nom de l’Empereur et Roi
Napoléon,
par la grâce de Dieu et les constitutions de l’Etat, Empereur des
Français, Roi d’Italie, protecteur de la confédération du Rhin, Médiateur
de la Confédération Suisse etc.
Le
conseil de guerre maritime spécial séant à bord de la frégate de
S.M. L’Hortense en rade de Brest, commandée par Monsieur Lahalle,
capitaine de frégate, a rendu le jugement suivant.
Ce
jourd’hui, onze mars mil huit cent treize, le conseil de guerre
maritime spécial, créé en vertu de l’acte du gouvernement du cinq
germinal et premier floréal an douze, et composé conformément à cet
acte de Mrs
:
Lahalle
Capitaine de frégate, Président
Delange
Lieutenants de vaisseau
Picard
Le Dalle de Keréon
Rignault de Lassuse
Le MariéEnseignes de vaisseau
Brun
Monsieur
Pierre Jean Baptiste Benjamin Masson, lieutenant de vaisseau, faisant
fonction de rapporteur et de procureur impérial, tous nommés par
monsieur Zacharie Jacques Théodore Allemand, comte de l’Empire, vice
amiral commandant les forces navales au port de Brest, assisté du sieur
Charles François Le Sage, agent comptable du vaisseau le Nestor, ainsi
nommé par monsieur le vice amiral comte Allemand, lesquels ne sont
parents ni alliés, ni entre eux, ni du prévenu, au degré prohibé par
les lois.
Le
conseil convoqué par l’ordre de monsieur le vice-amiral comte
Allemand, s’est réuni à bord de la frégate de S.M. L’hortense en
rade de Brest à l’effet de juger le nommé Paul Le Duic, matelot de
3e classe, 3e compagnie du 82e équipage de haut bord,
embarqué sur la frégate la Prégel, fils de Dominique et de Jeanne
Lehaut, domicilié à Riantec, département du Morbihan, né en mil sept
cent soixante seize à Riantec, même département, domicilié avant
d’entrer au service à Riantec, taille d’un mètre six cent vingt
millimètres, cheveux et sourcils noirs, yeux bruns, front bas, nez bien
fait, bouche moyenne, menton rond, visage ovale, teint brun, borgne de
l’œil gauche, entré au service en l’an mil huit cent onze, ayant
été levé par le port de Lorient, inscrit au quartier maritime de
Lorient au folio quatre cent soixante un, numéro trois cent cinq, de la
matricule du quartier, ayant abandonné la frégate la Prégel le sept
juillet an mil huit cent douze, etrentré le 26 février 1813.
La
séance ayant été ouverte, le président a fait apporter par le
greffier et déposer sur le bureau un exemplaire de l’acte du
gouvernement du cinq germinal an douze et des lois, arrêtés et
instructions relatifs à la désertion et a demandé au rapporteur
lecture de la plainte du procès verbal d’information, et de toutes
les pièces, tant à charge qu’en décharge envers l’accusé au
nombre de deux.
Cette
lecture terminée, le conseil a délibéré sur l’état de la procédure,
et ayant trouvé que l’instruction était complète, le président a
ordonné à la garde d’amener l’accusé, lequel a été introduit
libre et sans fer devant le conseil.
L’accusé,
interrogé sur son nom et prénom a répondu se nommer Paul Le Duic,
matelot de 3e classe, âgé de trente sept ans, embarqué sur la frégate
la Prégel.
Interrogé
par qui il a été arrêté, et à quel endroit, a répondu l’avoir été
par la gendarmerie à Riantec le trente janvier mil huit cent treize.
Après
avoir donné à l’accusé connaissance des faits à sa charge lui
avoir fait procès interrogatoire par l’organe du président, avoir
entendu séparément les témoins,représenté les pièces de
conviction, oui le rapporteur en ses conclusions et l’accusé dans ses
moyens de défense, lequel a déclaré n’avoir rien à ajouter, le président
a demandé aux membres du conseil s’ils avaient des observations à
faire ; sur leur réponse négative, le président au nom et de
l’avis du conseil a posé les questions ainsi qu’il suit :
Le
nommé Paul Le Duic, matelot de 3e classe qualifié ci-dessus est-il
convaincu de s’être rendu coupable du crime de désertion à l’intérieur.
La question ayant été définitivement posée
en public et en présence de l’accusé, le président a ordonné à
l’accusé de se retirer, et à la garde de le reconduire à la prison ;
le greffier et les assistants dans l’auditoire se sont retirés sur
l’invitation du président.
Le
conseil délibérant à huis-clos, en présence seulement du rapporteur,
le président ayant recueilli les voix, en commençant par le grade
inférieur et le moins ancien dans chaque grade, et ayant émis son
opinion le dernier, ainsi que les autres juges, le conseil déclare à l’unanimité
que le nommé Paul Le Duic est coupable de désertion à l’intérieur.
Sur
quoi le rapporteur a fait son réquisitoire pour l’application de la
peine.
Les
voix recueillis de nouveau par le président dans la forme indiquée
ci-dessus, le conseil faisant droit sur le réquisitoire, condamne à l’unanimité
le nommé Paul Le Duic à la peine de trois courses de bouline
conformément à l’article trente sept et trente huit, titre sept de l’arrêté
du cinq germinal an douze, conçu en ces termes.
Article
37. La désertion de l’intérieur sera punie de la peine de la
bouline.
Article
38. Tout marin qui aura été absent de son bord pendant trois jours de
suite sans permission.
Ordonne
que l’information et autres pièces du procès seront annexées au
registre des jugements.
Ordonne
qu’il sera fait par notre greffier quatre copies du présent jugement,
savoir deux pour son excellence le Ministre de la Marine, une pour être
déposée à l’inspection du port de Brest, et une autre pour être
remise à la gendarmerie et être déposée au lieu où le condamné
sera détenu.
Enjoint
au rapporteur de faire exécuter le jugement, dans tout son contenu.
Fait,
clos et jugé sans désemparer en séance publique les jours, mois et an
que dessus, et les membres du conseil ont signé avec le rapporteur et
le greffier signé Delange, Picard, Le Dall et Keréon, Rignault de
Lassuse, Le Marié, Brun, Masson rapporteur, Lahalle président, et Le
Sage greffier, soit fait ainsi qu’il est requis, le capitaine de
vaisseau, commandant les forces navales par intérim, signé Jurien.
Pour copie conforme
Le rapporteur
Le SageJ. Masson
Vu
par le contre amiral baron Hamelin, commandant l’escadre de Brest pour
l’égalisation des signatures Masson et Lesage ci-dessus apposées
L’Eylau, le 28 mars 1813.
Le contre amiral baron
Hamelin
SHD
de Vincennes, sous-série CC7, dossier Paul Le Duic
(recherches de novembre
2003)