Site généalogique de Christian Duic

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MAJ Page le 31/12/07


Paul Le Duic
(1779+1821 KN)
Déserteur sous l'Empire

 

Paul est né le 3 mars 1779 à Kerner, cinquième et dernier enfant de la famille. Son père Dominique était parti pour les Indes depuis cinq mois, et en fait, était déjà mort depuis décembre. Sa mère Jeanne Loho disparaît peu après en septembre 1782. Avec ses frères et sœurs, il a alors pour tuteur son oncle Jean Loho, qui lui aussi décédé, est remplacé par François Le Quellenec, un autre oncle. Dans les faits, les enfants mineurs semblent avoir été élevés d’abord par leur grand-mère Anne Le Costevec, veuve de François Le Duic, puis après le décès de celle-ci en février 1789, par leur tante Jeanne Le Duic, veuve d’Alexis Le Quellec et sans enfant.  

Brest en 1793 (Jean-François Hue, Musée de la Marine). Dans une scène apparaît un prisonnier, sans doute déserteur.

Comme beaucoup de gens de mer, Paul aurait commencé à naviguer vers 12 ans, soit en 1791, et était mobilisable à partir de 18 ans, soit en 1797. Sa carrière n’est toutefois connue qu’à partir de 1804 : il est dit « au service ». De 1805 à 1807, il retourne à la pêche et commande la chaloupe Marie-Vincente. Il navigue au cabotage en 1808, sur la chaloupe les Deux amis en 1809. Il est ensuite affecté sur la canonnière la Subtile, de laquelle il déserte et est condamné à trois courses de bouline à Rochefort le 6 janvier 1810. Il continue au service pendant quatre années, sans précision dans le registre des matricules (référencé 2P107 folio 461 numéro 305 au SHD à Lorient). Il mesure 1m 62, a les cheveux châtains foncés, les yeux bruns, mais il devient borgne de l’œil gauche.

C’est un dossier au Service Historique de la Défense à Vincennes, qui nous apprend qu’il a été affecté sur la frégate la Prégel (mise en service en mars 1811 à St Malo), de laquelle il déserte, pour une seconde fois, le 7 juillet 1812. Tentant sans doute de rentrer chez lui, il est retrouvé par la gendarmerie de Riantec le 30 janvier 1813, et est rendu aux autorités maritimes le 26 février. Le 11 mars suivant, un conseil de guerre tenu à bord de la frégate L’Hortense en rade de Brest le condamne à nouveau à courir la bouline trois fois. 

Cette  peine consiste à faire traverser le condamné entre deux haies de marins le frappant avec des boulines, qui sont des cordes tressées, servant initialement à tenir une voile. Dans son livre « Les mauvais numéros », Martial Chaulanges (1903+1983) a bien reconstitué la peine, que subit son ancêtre François Bellardie, acteur malgré lui des guerres napoléoniennes. « Un second pavillon rouge monte au perroquet d’artimon et l’officier de service, la main sur son épée, crie : «Canonniers et matelots, faites votre devoir.» C’est le moment. Il lui faut marcher derrière le factionnaire qui réglera l’allure, le long du passavant de tribord, entre deux rangées de marins armés d’une bouline, – matelots d’un côté, canonniers de l’autre. Au passage, chacun lui portera un coup vigoureux de ce cordage souple, long d’une coudée. Il part bien droit, regard fixé haut et loin, de son pas vif et dégagé, régulier comme à la parade. Les premiers coups, redoutés de tout son corps crispé, le font tressaillir à peine. Mais très vite, se relayant, s’ajoutant, se multipliant, s’exaspérant, les douleurs enveloppent son torse nu : brûlures en lanières aux épaules, lancées profondes dans le thorax, couperets aigus sur les bras. Les dents serrées, réprimant les réflexes d’esquive ou d’affaissement, il poursuit ses deux premières courses, de l’avant à l’arrière, de l’arrière à l’avant. A la troisième, le factionnaire accélère visiblement l’allure; le capitaine d’armes le rappelle à l’ordre, mais le parcours s’achève. Un chirurgien s’approche pour examen. D’un geste brusque, François se dégage et disparaît dans la grande écoutille pour regagner l’entrepont. Les nerfs à vif, la tête en feu, il se hisse péniblement dans son hamac. Bientôt tout se brouille. La souffrance même s’endort et il se sent rouler vers un abîme sans fond. »[1] 

Paul avait subit la première des peines pour désertion. En tant que récidiviste, il aurait pu être condamné au boulet, voire à la peine capitale. Mais la Marine avait trop besoin d’hommes à bord de ses navires. Toutes ces peines avaient été édictées en 1790, et revues en 1804, face à la montée de la désertion dans les équipages. La bouline s’attaquait surtout à l'honneur de l'homme, car quoi de plus affreux que d'être frappé par ses égaux. Ces derniers tentaient toutefois de ne pas frapper trop fort leur congénère infortuné, malgré l’œil vigilent des officiers. A la fin de l’Empire, la bouline tombait en désuétude, et était même sujet de dérisions parmi les équipages en 1837. Elle n’était pas très dissuasive finalement. Comme les autres peines corporelles, elle fut officiellement aboli en 1848, et remplacée par des peines de cachot, retenues sur soldes, et retrait des promotions. 

Paul revient de Brest le 28 mai 1814, après la chute de l’Empire. Il apprend le décès de son fils unique en 1808, de son épouse Olive Scolan en 1812, de sa tante Jeanne en 1813, et la disparition de son frère aîné Dominique, sans nouvelles depuis 1793. Il se remarie alors le 29 janvier 1815, avec Anne Le Blevec, qui lui donne dès décembre un fils, Paul (futur fondateur de la 3e branche de Gâvres), puis une fille quatre ans plus tard. En 1816, il pêche dans la chaloupe d’Yves Le Duic, son cousin de Port-Louis. Sans grande conviction, fatigué et accablé par la guerre et les évènements de la vie, il s’intéresse peu au patrimoine familial. Le 12 octobre 1821, gravement malade, il fait déplacer le notaire Jean-Marie Cougoulat de Port-Louis à Kerner pour la signature d’un acte. Il meurt quatre jours plus tard, le 16, à l’âge de 42 ans.


[1] Les mauvais numéros - La Terre des autres (tome 1), Martial Chaulanges, Presse universitaire de Grenoble, Collection L'Empreinte du temps, 2000.

 

Port de Brest          Au nom de l’Empereur et Roi

Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions de l’Etat, Empereur des Français, Roi d’Italie, protecteur de la confédération du Rhin, Médiateur de la Confédération Suisse etc.

Le conseil de guerre maritime spécial séant à bord de la frégate de S.M. L’Hortense en rade de Brest, commandée par Monsieur Lahalle, capitaine de frégate, a rendu le jugement suivant.

Ce jourd’hui, onze mars mil huit cent treize, le conseil de guerre maritime spécial, créé en vertu de l’acte du gouvernement du cinq germinal et premier floréal an douze, et composé conformément à cet acte de Mrs :

  Lahalle                   Capitaine de frégate, Président

  Delange                 Lieutenants de vaisseau

  Picard

  Le Dalle de Keréon

  Rignault de Lassuse

  Le Marié                 Enseignes de vaisseau

  Brun

Monsieur Pierre Jean Baptiste Benjamin Masson, lieutenant de vaisseau, faisant fonction de rapporteur et de procureur impérial, tous nommés par monsieur Zacharie Jacques Théodore Allemand, comte de l’Empire, vice amiral commandant les forces navales au port de Brest, assisté du sieur Charles François Le Sage, agent comptable du vaisseau le Nestor, ainsi nommé par monsieur le vice amiral comte Allemand, lesquels ne sont parents ni alliés, ni entre eux, ni du prévenu, au degré prohibé par les lois.

Le conseil convoqué par l’ordre de monsieur le vice-amiral comte Allemand, s’est réuni à bord de la frégate de S.M. L’hortense en rade de Brest à l’effet de juger le nommé Paul Le Duic, matelot de 3e classe, 3e compagnie du 82e équipage de haut bord, embarqué sur la frégate la Prégel, fils de Dominique et de Jeanne Lehaut, domicilié à Riantec, département du Morbihan, né en mil sept cent soixante seize à Riantec, même département, domicilié avant d’entrer au service à Riantec, taille d’un mètre six cent vingt millimètres, cheveux et sourcils noirs, yeux bruns, front bas, nez bien fait, bouche moyenne, menton rond, visage ovale, teint brun, borgne de l’œil gauche, entré au service en l’an mil huit cent onze, ayant été levé par le port de Lorient, inscrit au quartier maritime de Lorient au folio quatre cent soixante un, numéro trois cent cinq, de la matricule du quartier, ayant abandonné la frégate la Prégel le sept juillet an mil huit cent douze, et  rentré le 26 février 1813.

La séance ayant été ouverte, le président a fait apporter par le greffier et déposer sur le bureau un exemplaire de l’acte du gouvernement du cinq germinal an douze et des lois, arrêtés et instructions relatifs à la désertion et a demandé au rapporteur lecture de la plainte du procès verbal d’information, et de toutes les pièces, tant à charge qu’en décharge envers l’accusé au nombre de deux.

Cette lecture terminée, le conseil a délibéré sur l’état de la procédure, et ayant trouvé que l’instruction était complète, le président a ordonné à la garde d’amener l’accusé, lequel a été introduit libre et sans fer devant le conseil.

L’accusé, interrogé sur son nom et prénom a répondu se nommer Paul Le Duic, matelot de 3e classe, âgé de trente sept ans, embarqué sur la frégate la Prégel.

Interrogé par qui il a été arrêté, et à quel endroit, a répondu l’avoir été par la gendarmerie à Riantec le trente janvier mil huit cent treize.  

Après avoir donné à l’accusé connaissance des faits à sa charge lui avoir fait procès interrogatoire par l’organe du président, avoir entendu séparément les témoins,représenté les pièces de conviction, oui le rapporteur en ses conclusions et l’accusé dans ses moyens de défense, lequel a déclaré n’avoir rien à ajouter, le président a demandé aux membres du conseil s’ils avaient des observations à faire ; sur leur réponse négative, le président au nom et de l’avis du conseil a posé les questions ainsi qu’il suit :  

Le nommé Paul Le Duic, matelot de 3e classe qualifié ci-dessus est-il convaincu de s’être rendu coupable du crime de désertion à l’intérieur.

La question ayant été définitivement posée en public et en présence de l’accusé, le président a ordonné à l’accusé de se retirer, et à la garde de le reconduire à la prison ; le greffier et les assistants dans l’auditoire se sont retirés sur l’invitation du président.

Le conseil délibérant à huis-clos, en présence seulement du rapporteur, le président ayant recueilli les voix, en commençant par le grade inférieur et le moins ancien dans chaque grade, et ayant émis son opinion le dernier, ainsi que les autres juges, le conseil déclare à l’unanimité que le nommé Paul Le Duic est coupable de désertion à l’intérieur.

Sur quoi le rapporteur a fait son réquisitoire pour l’application de la peine.

Les voix recueillis de nouveau par le président dans la forme indiquée ci-dessus, le conseil faisant droit sur le réquisitoire, condamne à l’unanimité le nommé Paul Le Duic à la peine de trois courses de bouline conformément à l’article trente sept et trente huit, titre sept de l’arrêté du cinq germinal an douze, conçu en ces termes.

Article 37. La désertion de l’intérieur sera punie de la peine de la bouline.

Article 38. Tout marin qui aura été absent de son bord pendant trois jours de suite sans permission.

Ordonne que l’information et autres pièces du procès seront annexées au registre des jugements.

Ordonne qu’il sera fait par notre greffier quatre copies du présent jugement, savoir deux pour son excellence le Ministre de la Marine, une pour être déposée à l’inspection du port de Brest, et une autre pour être remise à la gendarmerie et être déposée au lieu où le condamné sera détenu.

Enjoint au rapporteur de faire exécuter le jugement, dans tout son contenu.

Fait, clos et jugé sans désemparer en séance publique les jours, mois et an que dessus, et les membres du conseil ont signé avec le rapporteur et le greffier signé Delange, Picard, Le Dall et Keréon, Rignault de Lassuse, Le Marié, Brun, Masson rapporteur, Lahalle président, et Le Sage greffier, soit fait ainsi qu’il est requis, le capitaine de vaisseau, commandant les forces navales par intérim, signé Jurien.

                        Pour copie conforme

 

                                    Le rapporteur

     Le Sage                            J. Masson

Vu par le contre amiral baron Hamelin, commandant l’escadre de Brest pour l’égalisation des signatures Masson et Lesage ci-dessus apposées

                        L’Eylau, le 28 mars 1813.

                                    Le contre amiral baron

                                    Hamelin

 

SHD de Vincennes, sous-série CC7, dossier Paul Le Duic
(recherches de novembre 2003)