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MAJ Page le 25/02/10


Jean-Marie Le Duic
(1910+1982 L2.A)
Frère Hélier, missionnaire à Haïti

L'apprentissage

Jean-Marie naît le 17 août 1910 à Locmiquélic, septième et dernier enfant de François Marie Le Duic et Marie Jeanne Danigo. Son père est marin pêcheur, mais ses frères aînés deviennent cheminots ou douaniers. Jean-Marie ne souhaite pas non plus continuer dans le milieu maritime de ses ancêtres. Il est doué à l’école, et également robuste, fort. Il pourrait voyager, enseigner… C’est peut-être le curé de la paroisse qui pense alors à le diriger vers les Frères de l’Instruction Chrétienne (FIC). Cette congrégation religieuse a été fondée en 1819 par l’abbé Jean-Marie de La Mennais (1780+1860) avec pour but d’aider les jeunes en difficulté d’abord en Bretagne, puis à partir de 1837 dans les pays du monde entier.  

Le collège des Highlands à Jersey fut le siège international des FIC de 1922 à 1972. La congrégation, qui a compté jusqu'à 2200 frères en 1962, en dénombre aujourd'hui environ 1000 dans 25 pays, dont 300 Français, pour 70 établissements et 30.000 élèves.

En 1925, âgé de 15 ans, Jean-Marie s’engage donc. Il part au collège des Highlands à Jersey, siège de la communauté depuis seulement trois ans. Le siège était initialement à Ploërmel, mais depuis des mesures anticléricales en 1903, annonciatrices de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, la communauté avait été dissoute en France, et avait dû se réfugier en Angleterre. Pendant deux ans, jusqu’en 1927, Jean-Marie fait son apprentissage et perfectionne son anglais. 

Il choisit pour nouveau nom Frère Hélier. Originaire de Belgique, saint Hélier devint ermite à Jersey au 6e siècle, alertant les îliens des navires ennemis. Décapité par des pirates, il les fit fuir en prenant sa tête entre ses mains. Il donna son nom à la capitale de l’île anglo-normande, Saint-Hélier, et à deux autres frères missionnaires du 19e siècle.

Destination Haïti 

L'engagement définitif dans la Congrégation ("Profession perpétuelle") n'intervient qu'à l'issue de 5 à 9 années de voeux temporaires ("Noviciat"). Toutefois, le frère peut partir assez rapidement en mission.  Ainsi, âgé de seulement 18 ans, Frère Hélier choisit de partir pour Haïti, où une mission existait depuis 1864, suite au Concordat de 1860 entre les autorités du pays et le Vatican, pour améliorer le système éducatif. Les Frères de l'Instruction Chrétienne principalement et quelques Pères du Saint-Esprit s'occupaient des écoles de garçons, les soeurs de St Joseph de Cluny et les soeurs de la Sagesse des écoles de filles. Dès lors émergea une élite, issue de l'enseignement privé catholique, tandis que les classes plus pauvres continuaient l'apprentissage dans les établissements publics. En 1934, seuls 15 à 20% des enfants des villes étaient scolarisés. Tous les religieux étaient alors payés par le gouvernement haïtien, et considérés comme des fonctionnaires.

Frère Hélier enseigne d’abord dans la capitale Port-au-Prince, au prestigieux collège  Saint-Louis de Gonzague, où il arrive le 26 septembre 1928, puis au Cap-Haïtien (1929-1931), à Léogane (1931-1934), à Port-de-Paix (1934-1938), aux Cayes (1938-1943), à Jacmel (1943-1946), à Gonaïves (1946-1950), puis retour à Saint-Louis de Gonzague (1950-1953). Il prend progressivement des responsabilités, devient directeur, supervise la construction du nouveau collège de Gonaïves. En 1938, 131 Frères de l'Instruction Chrétienne s'occupent à Haïti de 8112 élèves répartis en 22 écoles (en 1990 : 74 frères pour 8355 élèves en 15 écoles).

Frère Hélier avec des élèves à Port-de-Paix (1er rang à droite) et avec les professeurs à Gonaïves (1er rang à gauche)

Pendant ses 25 années à Haïti, Frère Hélier parcourt la campagne et s’intéresse à la culture du pays, plus particulièrement au vaudou, concurrençant le catholicisme. Il affirme ainsi que « le peuple haïtien hospitalier et très humain, doux et plutôt craintif […] souffre cruellement de cette emprise du démon, de la tyrannie des bocors [prêtres du vaudou], de cette exploitation éhontée de ses sentiments religieux. Cette emprise tient à l’ignorance : plus de lumière amènerait la fin de bien des tourments : le démon est le Prince des ténèbres, aussi les écoles de Frères ne lui plaisent guère…Ce peuple a eu plus que sa part de malchance. Longtemps enténébré en Afrique, martyrisé en Amérique, exploité dans son corps et plus encore dans son âme, se faisant lui-même son indépendance avec des moyens de fortune en plein siècle de philosophie et de révolution, […] il réussit, seul pays noir dans le monde [en 1953 avec le Libéria], à maintenir son indépendance malgré pas mal de troubles politiques, de guerres civiles, et l’occupation étrangère… Heureusement, il accepte aide et appui d’où qu’ils viennent… ». Frère Hélier souligne ainsi le bénéfice de la présence des religieux grâce au Concordat de 1860. Mais malgré cette longue présence de religieux, il est le premier à s’intéresser au vaudou. Suite à l’occupation américaine jusqu’en 1934, le vaudou s’est dévoilé au monde, via diverses publications d’ethnologues dans les années 1950, puis des films pas toujours très réalistes des studios d’Hollywood sur les zombis. Devenant un spécialiste, Frère Hélier publie divers articles et ouvrages, notamment L’âme complexe d’Haïti dès 1930. Et en 1953, il soutient une grande conférence au Grand Noviciat à Jersey, intitulée Au pays des Dieux. Il y aborde les esprits (loas), leurs noms, leurs fonctions, et livre même un exemple d'invocation en langue rituelle. A la lecture du texte dactylographié de 27 pages, on comprend qu’il était quotidiennement confronté au vaudou. Par exemple, au sujet de l’esprit Guédé. « Son reposoir est le Mapou ou fromager, ou kapotier, arbre immense et sacré en toute Haïti. Ce fut une belle clameur quand il fut question d’abattre le fameux Mapou Dampisse à l’entrée de Léogane !… Notez que ces mapous, du moins dans les dires du pays, s’illuminent de milles cierges la nuit et se rendent visite. De la fenêtre de ma chambre, j’avais beau écarquiller les yeux, et pourtant le Mapou Dampisse était juste devant moi. Pendant trois ans, je ne lui ai jamais vu d’autres bougies que celles des dévotes allumaient entre ses puissantes racines… Quant à le voir voyager dans les aires, le spectacle eût été rare, et je n’en ai jamais eu la chance… ». Frère Hélier aborde aussi les zombis, et parmi plusieurs témoignages de ses confrères, relate sa propre expérience :  

En septembre 1942, je me rendais avec le frère Théodule à travers les mornes de Camp-Perrin à Maniche. A un carrefour, je perdis brusquement mon compagnon. Je n’eus même pas le réflexe de crier pour attirer son attention, tellement tout à coup je fus figé, cloué sur place : devant moi, un nègre de belle stature, nu comme un ver, machette à la main, les yeux fous… La première surprise passée, et pas très sûr de ma voix :

-          Bonjour Boss !

Pas de réponse.

-          Est-ce qué m’n’en bon chimin Maniche là, t’en prie ?

Pas de réponse. Guère rassurant, ce type…

-          Qui laiss bitation, bord icitt, Boss ?

Pas de réponse. Pas une lueur dans les yeux. Seules les dents, superbes, luisent dans cette face abrutie.

-          Est-ce que ou oué deux Blancs, compère moin, déjà passé douvant ?

Pas de réponse. J’ai porté ma main à mes lunettes noires. D’un geste instinctif de défense, il saisit sa machette, et sans un seul signe d’intelligence, car malgré mes efforts, je n’ai pu entrer en contact avec lui, marchant à reculons, comme un animal habitué aux coups, plein de méfiance, il s’enfonce sous la feuillée. J’étais après la rencontre assez nerveux. A Maniche, le curé, le RP Quinquis, leva mon doute. Je parle de fou, de sourd-muet.

- Non, c’est un zombi. J’en ai moi-même rencontré plusieurs sur cette même habitation : des gens que je n’ai jamais vu auparavant, et qui arrivent ici un beau jour, sans qu’on sache d’où ils viennent…

 

Femme zombie en 1937 à Haïti, alors que déclarée décédée depuis 1907

Frère Hélier côtoie également l’ethnologue haïtien Jean Price-Mars (1876+1969), futur diplomate et homme d’état, auteur d’Ainsi parla l’Oncle (1928), un ouvrage fondateur publié en pleine occupation américaine.

Haïti en bref

Haïti est un pays essentiellement montagneux, occupant le tiers occidental de l'île de Saint-Domingue. Les 300.000 indiens, qui y vivaient initialement, sont décimés par l'esclavage et les maladies dans les 50 ans suivant l'arrivée de Christophe Colomb en 1492. Plus intéressés par leurs colonies sud-américaines, les Espagnols négligent le pays, et l'abandonnent aux mains des pirates et flibustiers, notamment sur l'île de la Tortue. Les Français occupent alors progressivement le territoire qui leur revient officiellement en 1697. Grâce à l'importation massive d'esclaves d'Afrique, ils le valorisent (café, canne à sucre...), et en font le fleuron de leurs colonies. Menés par le général Toussaint Louverture, les esclaves se révoltent à partir de 1791 et obtiennent leur indépendance en 1804. Une lutte fratricide pour le pouvoir, principalement entre noirs (95%) et mulâtres, ne cesse depuis de mener le pays à une instabilité politique, à part quelques rares périodes comme l'impopulaire occupation américaine de 1915 à 1934. La corruption et la terreur règnent également pendant l'ère Duvalier de 1957 à 1986. Malgré des ressources potentielles, l'économie ne décolle pas, minée par cette corruption, la violence, la surpopulation, les catastrophes naturelles (ouragans, séïmes), les problèmes écologiques (déforestation), voire les embargos internationaux. Bordant sur une côte peu exploitée, 3/4 de la population vit en zone rurale en dessous du seuil de pauvreté. Le taux de chômage atteint 60%. De nombreux Haïtiens tentent d'émigrer vers la République Dominicaine voisine, ou vers les Etats-Unis.

Avec 85.000 habitants, Gonaïves est la 3e ville du pays loin derrière la capitale Port-au-Prince (1.2 millions), et l'ancienne capitale Le Cap-Haïtien (132.000). Haïti est aujourd'hui l'un des pays les plus déshérités du monde.

Retour en Europe 

En 1953, Frère Hélier revient en Europe, où il continue d’enseigner dans les établissements gérés par sa communauté. Pendant plus d’un an, il est affecté entre le Grand Noviciat à Jersey, Pell-Wall en Angleterre (entre Liverpool et Birmingham), le Saint-Mary’s Collège à Southampton, puis il reste plus durablement à Cheswardine (1954-1956), près de Pell-Wall. Après avoir obtenu une licence ès-Lettres, il exerce son dernier poste en France, au collège des Saints-Anges à Pontivy (1956-1958). Il y enseigne l’anglais bien sûr, mais aussi la littérature française, surtout aux candidats du baccalauréat. 

Avec des élèves à Pell-Wall

Joël Le Duic (1943+2003 L2) fut l’un de ses élèves, et fut longtemps étonné d’une certaine bienveillance à son égard, jusqu’au jour où il apprit que derrière le nom de Frère Hélier se cachait en fait un cousin pas si éloigné. Le personnage était très impressionnant par sa carrure, par son œil bleu acier, et surtout par ses connaissances. Il avait des opinions très arrêtées. Il reçoit en 1958 (ou 1959) les Palmes Académiques, proposées par le sénateur-maire de Pontivy, après avoir accompagné comme traducteur une jeune délégation qui marque le premier jumelage avec la ville anglaise de Tavistock (au nord de Plymouth). Peu après, il est également Diplômé Honours de l’Université de Londres, par la Reine-Mère elle-même. A ce titre, il devient membre à vie du Conseil consultatif de ce prestigieux établissement.

Après tant d’honneurs, Jean-Marie Le Duic souhaite devenir prêtre. Il entre donc au séminaire. Mais il ne quitte officiellement sa congrégation que le 16 juillet 1965 après remise de ses voeux de Frère par indult de Rome (dérogation spéciale) le 23 juin. Peu après, il est ordonné en Normandie. Il est donc âgé de 55 ans. On l'appelle désormais Abbé Le Duic. Il meurt à Gisors, dans l'Eure, le 25 avril 1982.

Remerciements pour leur aide : 

- à Jacques de Cauna, historien et ancien diplomate, qui a vécut et exercé à Haïti (pendant 15 ans) comme son grand-oncle Frère Hélier.

- au frère Louis Balanant, archiviste des FIC à Rome.

- à Annick Le Duic, soeur de Joël, ancien professeur aux Saint-Anges à Pontivy.

Sources archivistiques, bibliographiques et Internet

 

Archives privées de Frère Hélier, conservées par Jacques de Cauna.

Au pays des Dieux, conférence du Frère Hélier au Grand Noviciat, 1952-1953, archives des FIC à Rome.

Système éducatif et inégalités sociales en Haïti le cas des écoles catholiques, Louis Auguste Joint, L’Harmattan, 2007.

Le catholicisme en Haïti au XIXe siècle, le rêve d'une "Bretagne noire" (1860-1915), Philippe Delisle, Editions Karthala, 2003.

L'église catholique face au vaudou haïtien : du mépris à la croisade, Philippe Delisle, dans Peinture haïtiennes d'inspiration vaudou, catalogue Musée d'Aquitaine, Le Festin, mai 2007, p. 35-39.

Toussaint Louverture et l'indépendance d'Haïti, Jacques de Cauna, Ed. Karthala, 2004

Frères de l'Instruction Chrétienne (FIC) de Ploermel www.mennaisien.org 

Frères de l'Instruction Chrétienne (FIC) site international www.lamennais.org 

Fondation canadienne des Anciens de Saint-Louis de Gonzague à Haïti www.slgafi.org

Ville de Gonaïves gonaives.net

La Terre, les hommes, et le pouvoir des dieux www.potomitan.info/kauss/dieux.php

Wikipédia

 

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