Avant
d’entreprendre une recherche généalogique sur des esclaves ou des
engagés à la Réunion, il faut bien comprendre leur
parcours, et dans quels
types de documents ils ont pu laisser des traces. Ces documents sont d'autant
plus précieux qu'ils sont assez peu nombreux par rapport à ceux
relatifs à la vie administrative, économique
et politique de l’île. Les affranchis, possesseurs de peu de biens, n'ont
également pas laissé beaucoup de traces dans les minutes
notariales ou judiciaires.
Les descendants de colons européens établiront
par contre assez rapidement leur généalogie grâce notamment au dictionnaire de Camille de
Ricquebourg pour la période avant 1810. Des données sont également
disponibles sur le site internet du Cercle Généalogique de Bourbon (CGB).
Esclaves
Les captifs montaient sur les bateaux négriers anonymement, sans aucun nom. Le lieutenant
tenait seulement un livre de traite où il indiquait à chaque embarquement leur
nombre par catégories : négrites
(petites filles), négrillons, mâles,
femelles. Dans les colonies, des annonces de ventes publiques peuvent aussi être
retrouvées dans les journaux après un nouvel arrivage. Les acheteurs
sont des particuliers, mais aussi des collectivités
territoriales, communes ou gouvernement (« Les
Noirs du Roi »).
Selon le code noir de 1685, les esclaves n’ont pas aucune existence
juridique, ils n’ont
aucun droit. Ils n’ont qu’un prénom ou un sobriquet qui n’est pas
héréditaire. Ils ne sont pas toujours inscrits dans les registres de
catholicité ou de l’état
civil (ainsi la naissance d’Eugénie TIVOLI en 1846 à
Saint-Benoît).
Lorsqu’ils le sont, ils sont bien distingués des classes blanches et des
libres de couleur, avec selon les époques des registres séparés. Leurs actes
de naissance ou de décès se limitent à deux lignes, parfois sans aucune dénomination
sinon l’appartenance à un maître. Les mariages sont rares, souvent interdits
par les maîtres, ou n'ayant aucune signification pour les amants. Les unions libres
sont plus fréquentes. Le suivi d’une filiation est ainsi très
difficile.
Dans un objectif fiscal (imposition du propriétaire),
les esclaves sont aussi recensés dès le 17e siècle, parfois de façon
nominative, d'autres fois numériquement seulement (nombre par
sexe et par âge). L'ordonnance du 4 août 1833 oblige les autorités coloniales
à un recensement précis : nom, âge, sexe, caste, description
physique (couleur, cheveux, taille), profession, mention des changements
intervenus entre deux recensements (naissance, mariage, décès,
vente...). Des
recensements sont notamment effectués en 1840-1841 à Saint-Denis,
Saint-André et Sainte-Rose. Suite à l'ordonnance du 11 juin 1839, des registres
matricules sont également tenus. Ils mentionnent en plus le nom du maître.
A La Réunion, ils n'ont été conservés que pour les Noirs du Roi.
Considérés comme patrimoine mobilier, au même titre que du bétail,
les esclaves sont
listés dans les inventaires après décès ou les testaments
de leur propriétaire (par exemple d'Omblyne
Desbassayn). Ils font aussi l'objets de revente entre
particuliers, devant le notaire, sachant qu'une famille ne peut être
séparée. Des annonces de vente, parfois aux enchères, apparaissent
dans des journaux de l'époque.
Dans
les juridictions, il est possible de retrouver des procès pour
marronage, pour la traite interlope (1818-1831), pour maltraitance...
Environ
8000 affranchissements eurent lieu avant 1848 à La Réunion. Ils
sont normalement enregistrés dans les registres du greffe de la
juridiction jusqu'en 1832, puis directement dans les registres de l'état
civil des libres avec publication dans la feuille officielle de
la colonie. Les libres de couleur (noirs affranchis, mulâtres et leurs descendants) sont
enregistrés dans les registres paroissiaux et de l’état civil, séparés de
ceux des blancs et des esclaves selon l’époque. Leur nom est rarement héréditaire
ou n’est pas reporté dans les tables.
Par
le décret de juillet 1848, tous les esclaves sont affranchis, soit 62.000 au total.
Pour combler l’absence de l’état civil, ils sont inscrits dans des
registres matricules spéciaux, dits encore registres d'individualité,
avec leur âge, leur domicile, le nom des parents (rarement
connu ou déclaré) et surtout ils reçoivent leur nouveau patronyme imposé par
l’administration coloniale. Ce patronyme correspond le plus souvent au prénom
de l’affranchi (10%), à son caractère physique ou moral (8%, ex : PROSCRIS
ou encore JOLICOEUR, SANSREPROCHE), mais aussi à un lieu géographique aussi
bien réunionnais que français ou européen (ex : TIVOLI), à un nom d’animal, à des personnages historiques ou
mythologiques, à des noms de mois, à des
couleurs… (un extrait des
registres spéciaux remplace l’extrait de naissance d’Eugénie TIVOLI
pour son mariage en 1861). Parallèlement, dans les années 1849 à 1860, de
nombreux affranchis régularisent leur union dans les registres de l’état
civil, avec parfois une reconnaissance d’enfants.
Les listes électorales de 1849-1850 sont intéressantes
car elles donnent l’origine ethnique des nouveaux citoyens.
Immigrants
et engagés
Après
1848, les nouveaux « immigrants » sont inscrits initialement sur des
registres matricules, essentiellement pour combler l’absence d’acte de
naissance, en distinguant bien ceux d’origine africaine de ceux d’origine
indienne. Ils donnent leur provenance (plus le continent que le pays), leur âge
approximatif, le nom des parents (souvent considéré comme inconnu, car invérifiable
par l’administration coloniale), ainsi que plus sûrement le nom du navire sur
lequel ils arrivent. Ils portent un nom qu’ils déclarent librement,
contrairement aux esclaves affranchis, souvent sans prénom (ainsi
SAMORI et NAVOU sous les matricules respectifs n° 77.415 et n° 101.766).
Aucun registre n'aurait été conservé aux Archives départementales
pour les quelques 100.000 immigrants indiens entre 1848 et 1882.
Considérée comme de la traite, l'immigration est arrêtée, ou plutôt
très sérieusement régulée à partir de 1859 pour les Africains, et
de 1882 pour les Indiens.
Les
engagés reçoivent aussi un livret de travailleur, dont
certains peuvent être conservés dans les familles. Seule une
centaine, ayant plus une valeur historique, a été reversée aux
archives départementales. Voici
un exemple de quelques informations contenues (ADR, 12M38, pièce n°37) :
Nom : SABOURI, âgé de 38 ans en 1883.
Caste : cafre.
Arrivée : le 17 mai 1857 sur le GAVENOR, capitaine HIGGUISON.
Signe particulier : (illisible)
Porté à la matricule de Saint-Joseph sous le n° 3223.
Porté à la matricule générale sous le n° 59532.
Premier contrat le 8 juillet 1857 chez DESPREZ, propriétaire à Saint-Denis.
Contrats à Saint-Joseph de 1888 à 1901, sauf à Saint-Pierre en 1898 ?
|
Arrivé
à l’âge d’environ 12 ans, ce SABOURI ne peut être assimilé à notre
ancêtre SAMORI. Il
s’est en effet marié à Saint-Joseph en 1883 à Céline AOUILLE, puis remarié
en 1885 à une dénommée LOSSANDIE. |
Les
actes de l’état
civil sont bien enregistrés, mais les noms sont parfois erronés. A partir
de 1882, les enfants indiens nés dans la colonie
doivent opter ou non pour la nationalité française, notamment pour la situation
militaire des garçons.
Aucun
recensement n’est conservé entre 1849 et 1891, et ne permet donc pas de
savoir chez quel propriétaire travaillait un engagé. Ceux effectués en 1892, 1897,
1902, 1907, 1911, 1920, 1921, 1926 et 1931 sont moins riches en information que
ceux d’avant 1848.
Le
cadastre n'a été créé qu'après la départementalisation de
1946.
Lieux
de recherche
Au
niveau des Archives départementales de la Réunion, peu de documents sont
conservés sur l’esclavage et sur l’immigration du 19e siècle.
A La Réunion, les
registres de catholicité et d’état
civil constituent une collection presque sans lacune depuis le début de la
colonisation de l’île, dont il faut connaître l'histoire pour la création
progressive des paroisses et communes. Les registres en triple exemplaires, depuis
l’ordonnance royale de 1776 créant le Dépôt Public des Papiers des Colonies
(DPPC), se complètent. Les Archives nationales à PARIS disposent aussi de
microfilms (côte 5 MI) pour les registres antérieurs à 1870 ou 1879.
Exemplaire |
Moins
de 100 ans (*) |
Plus
de 100 ans |
1 |
Mairie |
Mairies qui
reversent souvent aux Archives départementales |
2 |
Greffe
du tribunal d’instance |
Archives
départementales |
3 |
Ministère
des DOM-TOM (successeur du DPPC), 27 rue Oudinot à Paris |
Centre
des Archives d’Outre-Mer (CAOM)
à
Aix-en-Provence
|
Microfilms |
Néant |
Archives
nationales à Paris |
(*)
Dérogation nécessaire du procureur de la République, si les
recherches concernent des personnes autres que le demandeur, ses
ascendants ou descendants sur une période dont la communication des
documents n'est légalement pas autorisée.
Madagascar
Pour
l’Etat civil des Français ayant vécu à Madagascar (notamment les
Réunionnais), les registres sont
conservés en France en un seul exemplaire :
Moins
de 100 ans (*) |
Plus
de 100 ans |
Ministère
des Affaires Etrangères, Service de l’Etat Civil des Français à
l’Etranger, Nantes.
(Demande d'acte possible par Internet)
|
Centre
des Archives d’Outre-Mer (CAOM)
à
Aix-en-Provence
|
(*)
Période coloniale jusqu'à l'indépendance en 1960, puis
période consulaire.
Les
registres concernant les autochtones sont restés dans le pays.
Le
CAOM dispose de quelques documents intéressants :
Côte |
Contenu |
Période |
3Z 258 |
Recensements, notamment relevé des Français de la
Réunion, de l'Inde, de Diégo Suarez en 1891.
|
1865 à 1891 |
3Z 274 |
Recensements de Tamatave
|
|
6 (10) D144 |
Etat nominatif des Français morts à
Madagascar. |
1900 à 1930
|
6 (10) D86 bis à D143 |
Naturalisations (D86 bis : période
1895-1901). |
1894 à 1940
|
11B 96 |
Registre matricule des Français à
Madagascar. |
1881 à 1894
|
11B 115 |
Etat
nominatif des commerçants, employés de commerce, colons
agriculteurs... Un registre par province.
|
au 1er janvier de 1904 et 1905
|
Afrique
continentale
Le
village d'origine (et non le port d'embarquement) des immigrants
africains n'est quasiment jamais mentionné dans les documents. S'il
l'est, son nom peut avoir été mal compris et déformé par les
autorités coloniales. En fait, la transmission orale dans la famille
peut être plus sûre, mais risque de ne pas pouvoir remonter au delà
de 100 ou 150 ans, et peut enjoliver la réalité. Les recherches
s'avèrent très difficiles sinon impossibles en l'absence de sources
écrites avant l'implantation des administrations coloniales des
Européens à la fin du 19e siècle.
Inde
Les
descendants d'immigrants indiens rencontrent la même problématique que
pour les Africains : retrouver le
village d'origine. Par contre, en Inde, des sources écrites
existent. Parmi celles-ci, les registres de pèlerinages
hindous, dont plusieurs ont été microfilmés par les Mormons,
permettent de remonter d'un coup plusieurs générations (jusqu'à cinq
ou sept parfois). Une connaissance en écriture et en
langue (sanskrit, tamoul, hindi...) est par contre nécessaire, sinon un traducteur. Au 19e siècle,
un état civil a été mis en place par les
autorités coloniales françaises et anglaises, mais les Indiens ne
l'ont pas vraiment adopté depuis.