A
l’origine inhabitée, La Réunion ne s’est peuplée progressivement qu’à
partir du 17e siècle. Trois périodes peuvent être distinguées.
Avant
1715 Une terre d’aventuriers et de
pionniers
Grotte des premiers français à
Saint-Paul.
Au
16e siècle, l’île est connue des navigateurs arabes et portugais, qui s’y
approvisionnent en eau et en vivres.
En
1646, douze forçats français sont abandonnés près de Saint-Paul. Grâce à
la nature généreuse, ils survivent plusieurs années et prouvent qu’une
colonisation est possible. La France s’approprie alors définitivement l’île
et la baptise Bourbon, du nom de la dynastie française.
En
1664, la Compagnie des Indes est créée par Colbert. Cette société privée
dispose du monopole du commerce français en Asie, pour concurrencer les
hollandais et les anglais. Elle décide de mettre en valeur l’île, qui lui
est concédée par le roi et qui est une bonne escale au carrefour des routes
maritimes entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Dès 1665, le gouverneur
Etienne Regnault et vingt compagnons débarquent, rapidement suivi par des
travailleurs malgaches et des aventuriers européens (italiens, suisses,
allemands, anglais…).
Ces
pionniers reçoivent des concessions immenses, allant « du battant des
lames au sommet des montagnes ». Ils s’installent d’abord à
Saint-Paul, puis à Saint-Denis et dans le nord. Ils défrichent les forêts
hostiles, chassent le gibier local, faisant disparaître de nombreuses espèces.
Ils se consacrent à des cultures vivrières, tel que le blé, le riz, le
manioc, et à l’élevage de bovins et de caprins. Mais en définitif, livrés
à eux-mêmes, ils travaillent peu. Ils vivent dans l’oisiveté, boivent,
jouent. Pour améliorer leur quotidien, ils s’affairent à la contrebande avec
des pirates. Avec la rareté de prêtres, ils délaissent la pratique
religieuse. En l’absence d’autres femmes, ils engrossent des noires, qui
enfantent des premiers métis. Entre 1690 et 1694, ils n’ont contact qu’avec
un seul navire de la Compagnie. En 1707, Bourbon dénombre 700 âmes, dont 300
noirs sans réel statut.
De
1715 à 1848
Esclaves franchissant une rivière.
Dans
un souci de rentabilité, la Compagnie des Indes reprend en main l’île
Bourbon. A partir de 1715, elle incite la culture du café, qui devient à la
mode en Europe. Pour travailler les terres, des esclaves sont importés d’Afrique
et de Madagascar principalement. Ils représentent désormais entre 60 et 80%
d’une population sans cesse en augmentation. En 1723, ils reçoivent un statut
ambivalent avec le Code noir. Beaucoup d’entre-eux s’enfuient alors des
plantations, marronnent dans les hauts, sont débusqués par des chasseurs de
prime. Gouverneur de 1735 à 1746, le malouin Mahé de La Bourdonnais
favorise la traite des noirs et le développement économique, aussi bien à
Bourbon qu’à Maurice, récupérée des hollandais depuis 1715 et rebaptisée
île de France. Il construit une base navale à Port-Louis, sur la seconde île
mieux pourvue en havres, et établit la capitale du gouvernement à Saint-Denis
à la place de Saint-Paul.
En
1764, la Guerre de Sept Ans ayant ruiné le commerce, les deux îles sont rétrocédées
au roi, la Compagnie des Indes est liquidée, mais la colonisation continue. Grâce
à l’intendant Pierre Poivre, les épices rares sont acclimatées, tels que la
cannelle, le poivre, le gingembre, le girofle, la muscade. Bourbon s’affirme
alors dans sa vocation agricole, et devient un satellite de l’Ile de France,
vouée au commerce maritime. En 1779, elle compte quand même 35.500 habitants.
Elle est progressivement divisée en quartiers administratifs et en paroisses évangélisées
depuis 1714 par les prêtres lazaristes. Les saints patrons de ces premières
circonscriptions sont à l’origine du nom des communes actuelles.
Au
tournant de la Révolution, l’île prend provisoirement le nom de La Réunion
puis celui de Bonaparte. Elle refuse d’abolir l’esclavage selon le décret
de 1793. Malgré tout, elle souffre économiquement avec une occupation anglaise
de 1810 à 1815, une insurrection d’esclaves, et surtout deux cyclones
successifs qui ravagent les plantations de café. Parallèlement, la France perd
plusieurs colonies sucrières, telles que St Domingue devenue indépendante ou
Maurice finalement cédée aux britanniques. Les colons se convertissent alors
à la canne à sucre, qui nécessite toujours une main d’œuvre importante.
Selon le Congrès de Vienne en 1815, la traite des noirs est réglementée. Elle
est toutefois transgressée allègrement avec l’accord illicite de l’Angleterre
jusqu’en 1831.
Bientôt,
plus aucune concession n’est disponible dans les plaines, les plus anciennes
sont fractionnées au fil des héritages, ne sont plus rentables et sont
finalement vendues à de nouveaux aristocrates (les Grands Blancs), qui forment
de vastes domaines et prennent le pouvoir. Encouragés par le gouvernement à
partir de 1830, les colons désargentés (les Petits Blancs) s’implantent
alors dans les hauts, où vivent déjà des marrons. Ils y développent des
cultures vivrières, avec plus ou moins de succès (chouchou à Salazie, vigne
et lentilles à Cilaos), mais leur condition reste précaire.
Depuis
1848
Une société fragilisée
Usine sucrière de Bois-Rouge à
Saint-André.
L’année
1848 est une nouvelle année charnière. En métropole, la seconde république
est proclamée le 25 février. L’île prend définitivement son nom le 6
septembre. Et surtout, l’esclavage est aboli le 20 décembre. Ménageant les
intérêts de chacun, le commissaire de la république Sarda Garriga convainc
les 62.000 nouveaux affranchis et leurs anciens maîtres à travailler ensemble.
Mais rapidement, des indiens sont engagés, suivant l’exemple des anglais à
l’île Maurice, où l’esclavage est aboli depuis 1835. Plus de 100.000
immigrent jusqu’en 1882, date à laquelle le recrutement est interdit car
assimilé à la traite. Parallèlement, une immigration africaine continue
jusqu’en 1859.
A
partir de 1860, s’amorce le déclin de l’île. Avec la maladie de la canne,
la concurrence du sucre cubain et de la betterave en Europe, l’ouverture du
canal de Suez qui détourne les anciennes voies maritimes, La Réunion subit une
grave crise économique. Elle s’équipe néanmoins d’infrastructures avec le
chemin de fer en 1882 et le port de la pointe des Galets en 1886, diversifie sa
production agricole avec la vanille et le géranium. Socialement, elle est
confrontée à un appauvrissement généralisé, à des problèmes sanitaires
(choléra, variole, paludisme endémique), à l’analphabétisme, à
l’alcoolisme. Elle connaît alors pour la première fois une émigration,
notamment vers Madagascar, où les français concentrent leurs efforts de
colonisation à partir de 1880.
Pendant
la Première Guerre Mondiale, sur 14.000 réunionnais engagés volontaires, plus
de 1.000 meurent sur les fronts en Europe. Pendant la Seconde, l’île se
rallie au régime de Vichy, et subit un terrible blocus anglais jusqu’au débarquement
des Forces Françaises Libres en 1942.
En
1946, La Réunion adopte le statut de département d’outre-mer pour faciliter
sa modernisation et l’apport de capitaux. A partir des années 1960
(Madagascar est alors indépendante, le gaulliste Michel Debré, ancien premier
ministre, et le communiste Raymond Vergès sont des élus de La Réunion), les
progrès apparaissent au niveau de la santé, de la scolarisation, des
logements, des infrastructures routières, portuaires, aériennes, des
ressources énergétiques, de l’industrie sucrière, des télécommunications,
de la grande distribution, de l’accueil touristique. Toutefois, cette
politique grandement assistée bouscule les vieilles traditions, génère de
profonds déséquilibres sociaux, et ne résout pas la croissance démographique.
En 30 ans, la population est pratiquement doublée, atteignant 600.000 habitants
en 1990. Tandis que des réunionnais émigrent vers la métropole, des malgaches
et des comoriens immigrent. Aujourd’hui, dans un marché mondialisé, La Réunion
se veut une base avancée de l’Europe en Océan Indien.